Qu’est-il arrivé à la bande dessinée jeunesse ?

 

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La voici poussive, avachie, baveuse, banale et ronronnante, quand elle fut inventive, foisonnante et, surtout, variée. Excepté quelques vieilles toupies de plus en plus branlantes (Les Tuniques bleues, Léonard…), souvent maintenues en état de vie artificielle pour de basses raisons de gros sous (Boule et Bill, Astérix, Lucky Luke…) elle semble engluée dans un seul et unique schéma, selon lequel – primo – les héros doivent avoir l’âge de leurs lecteurs et – secundo – évoluer dans un cadre proche de leur quotidien pour ne pas trop dépayser les pauvres chéris. Noyées entre d’innombrables Titeuf, Cédric, Lou, Tamara, Ducobu et autres… les exceptions se comptent sur les doigts d’une main de yakusa. L’aventure, la vraie, a paraît-il déserté nos pages. Sans même parler d’un Philémon, aujourd’hui tout à fait improbable, où sont les Comanche, les Bernard Prince, les Simon du fleuve ? Où est Olivier Rameau ?

Se souvient-on seulement du gandin à canotier apparu pour la première fois dans Tintin en 1968, sous la plume de Greg et le pinceau de Dany ? Play-boy à pattes d’éph’ égaré dans le notariat, il quittait définitivement « le vrai monde où l’on s’ennuie » pour l’extravagante Hallucinaville, capitale de Rêverose où l’attendait son éternelle fiancée, Colombe Tiredaile, dont la blondeur pulpeuse devait provoquer bien des émois prépubères. Il était alors interdit d’interdire et la BD s’en ressentait : à Rêverose, toute logique étant exclue, on nageait littéralement dans le bonheur, l’amour et l’utopie bon enfant, nonobstant – aventure oblige – l’intervention fatale de quelque néfaste jaloux d’une telle béatitude. Les titres étaient à l’avenant : La bulle de Si-c’était-vrai, La caravelle de N’importe où, Le canon de la bonne humeur… Dans Tintin, le monde d’Olivier Rameau faisait alors écho à celui de Philémon dans Pilote, avec moins de génie sans doute, mais avec un bel abattage. Car Greg, ne l’oublions pas, était avant tout le père génial d’Achille Talon et, plus encore que la féerie, cultivait la syntaxe avec une gourmandise que l’on n’a guère retrouvée depuis, pas même chez un Lewis Trondheim. Au-delà d’une fantaisie somme toute un rien convenue pour les adultes que nous sommes peu ou prou devenus – tout comme le dessin de Dany, foisonnant mais d’un classicisme franco-belge assez sage – c’est cette verve constante, cette tchatche jamais prise en défaut que l’on retrouve avec le plus de plaisir à relire ces albums. Portée à son plus haut point d’incandescence, la verbosité part en feu d’artifice, à la démesure du beau pays du Grand Pas Sage Ebouriffon, du chevalier Grinssan de Samankeduille et des trois Ziroboudons. Et l’on mesure soudain, avec beaucoup de surprise et un brin de nostalgie, que si l’on doit bien quelque chose à la BD de notre enfance – de Greg à Goscinny, de Gotlib à Delporte, de Franquin à Macherot, c’est bel et bien de n’avoir pas peur des mots.

Qui dit mieux ?

Yann Fastier