Innombrables dans la littérature, les supercheries sont curieusement rares en bande dessinée, domaine pourtant réputé plutôt jouette.

 

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À vrai dire, on n’en connaît guère, à part le Blog de Frantico, dont Lewis Trondheim n’a jamais formellement avoué être l’auteur. C’est pourquoi, même déjà vieille de plusieurs années, la monographie canulardesque de Laurent Lefeuvre garde tout son sel. Ainsi, de 1949 à 1984, aux côtés des Zembla, Blek le Roc, Akim et autres Cap’tain Swing les éditions ROA auraient peuplé les kiosques de leurs centaines de titres sans qu’on n’en sache rien ? Aurions-nous si mauvaise mémoire que ni le Chevalier Panache, ni Cosmicman, ni le Fakir Dotki ni même le Garde Républicain ou le jeune Lumbago l’enfant-girafe ne nous disent plus rien ? Fidèle gardien d’un patrimoine honteusement négligé, Laurent Lefeuvre, grimé en vieux collectionneur, se charge de raviver nos souvenirs à grand renfort de planches originales, d’anecdotes et de couvertures collector, imitant à la perfection le ton blagasse et jusqu’aux coquilles typographiques de rigueur dans ce genre d’ouvrage.

L’illusion, bien sûr, n’a qu’un temps : quelques clins d’oeil trop appuyés et, surtout, l’empreinte un peu trop visible de la palette graphique, nous font rapidement quitter la supercherie pure pour le pastiche amusé, doublé d’une entreprise de mise en abyme quasi-borgésienne, pour le coup parfaitement réussie. Car cette « merveilleuse histoire » ne tombe pas du ciel : elle s’inscrit dans la continuité logique de Tom et William, un précédent album qui voyait un jeune garçon convoquer ses héros de papier pour l’aider dans la vraie vie. Ces personnages étant tous issus des publications de certaines éditions ROA, il n’était dès lors pas sans cohérence de leur donner une existence officielle, comme il n’était pas de plus bel hommage aux petits formats, ces « BD de gare » qui, peu ou prou, enchantèrent nos enfances de l’après-guerre aux funestes années 80 qui virent leur extinction. Longtemps mal aimés, négligés de la critique, les PF n’en font pas moins partie de notre mémoire collective, entre d’augustes bonbecs et quelques terrains vagues. Par la grâce d’un auteur malheureusement trop méconnu sur la rive gauche de la Vilaine, les voilà rejoints par une épatante cohorte de nouveaux héros, nous laissant si désireux d’y croire qu’on n’attendra pas sans un peu de fébrilité le prochain vide-grenier.

Yann Fastier