On le comprend en lisant la postface écrite par l’auteur lui-même,
Dermot Bolger a (re)donné vie, aidé en cela par toute la distance inhérente à la fiction, à une femme qu’il a bien connue, Sheila Fitzgerald, et lui a conféré, dans Une arche de lumière, les traits d’une héroïne romanesque avec son personnage d’Eva Fitzgerald. Trop intimidante Sheila, pour qu’il s’attaque à sa biographie de front. Il lui a fallu plus de dix ans, et au moins autant de livres non achevés pour aboutir à ce roman époustouflant où Eva est présente à chaque ligne, chaque respiration du texte tout en laissant la place aux innombrables êtres qui gravitent autour de son charme. Du modèle en chair et en os, dont il raconte avoir eu la chance inouïe de croiser la route, il s’est imprégné. Il s’est souvenu des détails de leur rencontre. Il s’est inspiré de son existence, extraordinaire. Eva/Sheila, fille d’aristocrate irlandais en faillite se marie sans amour et se retrouve piégée avec un homme qui tourne à l’aigre plus vite que l’alcool qu’il ingurgite. Mère de deux enfants, une fille aussi rebelle qu’elle-même qui part au Kenya dans ses jeunes années, et un fils dont elle craint que l’homosexualité soit révélée dans une Irlande où c’est un crime, elle parvient à se libérer de cette union et, sans le sou, à (re)gagner sa dignité, à devenir un individu en voyageant, peignant, lisant, aimant. De sa roulotte campée dans le pré d’amis, une lumière s’échappait quand on venait la voir. Malgré tous les drames vécus, malgré la solitude et la faim, Eva ne cessera jamais d’adorer la vie, de sourire aux lendemains, de communiquer sa force aux autres. Douée pour rien en particulier, experte en empathie et en conseils avisés, elle a transformé ceux qui ont partagé un bout de chemin avec elle, au point que chacun ait cru avoir partagé avec la gentille excentrique une relation particulière. Eva est la lumière. Elle garde pour elle les ténèbres qui s’abattent sur elle pour se relever toujours, dans ce pays qui déteste les femmes et les déviants, puis au cours de cette vieillesse qui seule l’oblige à baisser les armes. Certains passages sont marqués par sa grâce, elle qui s’émerveille des pépiements des petits oiseaux et de la beauté des ciels, d’autres serrent le cœur quand les deuils successifs la heurtent au plus profond. Mais sa douce rage exhale à chaque chapitre. Bolger fait avec elle chaque pas. Il se glisse dans la peau de cette folle vêtue de haillons, cette militante infatigable de la défense des opprimés et des animaux qui a fait le choix de vivre heureuse, cette mère si durement touchée qui refuse de partager sa douleur. Il devine ses pensées et ses doutes, dit ses mots bienveillants et ses cris silencieux, décrit ses peines immenses et surtout cette joie, cette lumière irradiant de son être, jusqu’au bout.
Marianne Peyronnet