Peinant à surmonter une récente séparation, une jeune femme travaille dans une ferme,
au service d’une vieille paysanne, la première de son espèce dans une Suisse très conservatrice. Certes « le travail aide à surmonter tous les malheurs », mais certains fantômes font également de leur mieux. La grand-mère de la narratrice est toujours là, dans la grande villa décatie que lui construisit son mari sur la pente d’une montagne qui n’en finit pas de s’ébouler. D’autres ne font que passer qui ne sont parfois même pas morts ou sortent simplement d’un autoradio, le temps d’une cigarette fraternelle. Il y a aussi, bien sûr, le souvenir de l’aimé, qui se confond doucement avec un nouvel amour possible, un corbeau mal barré qu’on ne se résout pas à donner au renard, quelques rêves et des objets qui, tous, parlent à leur manière de ce qui fut. Les réalités se mêlent, donc, s’emmêlent et se frôlent sans se heurter au fil de ce très court roman dont la douceur pourrait être le maître mot. Une douceur sans larmes ni mièvrerie, obtenue à force d’user son chagrin, comme une pierre devient galet, par la force des choses et du temps. Le temps, cinq saisons, de l’automne à l’automne, celui d’apprendre de nouveaux gestes et, surtout, celui d’apprendre à partir. Est-il cyclique ou linéaire ? A cette grave question que n’ont pas encore tranchée les historiens, Noëmi Lerch – née en 1987 à Baden – répond en revisitant Les Travaux et les jours, sans grandes certitudes mais sans craindre non plus de se salir les mains. Rien d’éthéré, donc, dans ce premier roman paru en Suisse en 2015, et pour lequel l’autrice se revendiquait du réalisme magique sud-américain. Du réalisme, de fait, il y en a. De la magie aussi et, si l’on reste assez loin des grandes fresques andines, l’épure alpestre fonctionne plutôt bien. Une épure à la taille, disons, du canton des Grisons, dont plusieurs parutions récentes confirment la vocation littéraire aussi bien qu’agricole.
Yann Fastier