Comme des milliers de Portugais fuyant la misère, la dictature ou la guerre, la jeune Fernanda fait un jour le salto,
le grand saut clandestin vers la France, celle des années 60, s’entend, qui accueillait encore volontiers une main d’œuvre immigrée corvéable à merci. Logée par une tante en plein cœur du bidonville de Champigny – le « petit Lisbonne » disait-on alors – elle trouve très vite à s’employer comme femme de ménage chez un vieux garçon avec lequel, peu à peu, va se nouer une relation à la fois complice et pleine de pudeur. Ce n’est que plus tard, une fois mariée et loin de Paris, qu’elle découvrira que le vieil ours sympathique qu’elle prenait pour un original n’était autre que l’un des principaux monstres sacrés de la chanson française, Brassens en personne, alors au sommet de sa gloire. De là à penser que certaine Fernande qu’on croyait n’avoir été là que pour la rime aurait bien pu être cette Fernanda-là, il y a un pas que Nicolas Jaillet n’hésite pas à franchir en une manière de salto particulièrement casse-gueule. Car si l’on n’hésite pas à saluer l’excellent travail de documentation sur l’émigration portugaise (l’auteur cite ses sources) ainsi que le portrait en creux du grand Georges, tous deux servis par une écriture qui sait inspirer confiance, on n’en dira pas autant de la conclusion un rien tirée par les cheveux et, surtout, d’une décevante ambiguïté quant aux intentions d’un Brassens qui, de toute façon, n’est plus là pour se défendre. Il y a certes mieux, comme hommage, que de faire d’une jeune fille en évidente situation de faiblesse (enceinte, analphabète et immigrée) la très bandante égérie d’un air de corps de garde et l’on voit mal le parfait gentleman que dépeint Nicolas Jaillet se permettre une telle goujaterie aux dépens d’une dame qu’il respecte sans contredit. Volontaire ou non, l’écart est là, qui produit une certaine gêne et, dans un cas comme dans l’autre, rate son effet.
Yann Fastier