Lila attend le client au bord de la route. Les chalands se font rares.

 

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Les temps sont durs pour tout le monde. Elles les a tous connus, Lila, ceux du village et ceux de passage. Mais ils sont moins nombreux, à présent que sa chair s’est flétrie, à payer le prix en échange de quelques caresses. Fort à parier qu’ils préfèreraient tâter de la chair fraîche, celle de sa fille Cassandre, par exemple, quinze ans, qui rêve de se tirer d’ici et de ce bungalow crasseux, dans ce camping pourri où personne ne vient passer ses vacances.

Non loin de là, Sam et Danny errent dans la forêt. Malgré les vingt-cinq ans qui les séparent, ils sont demi-frères, et malgré cette consanguinité, ils viennent de se connaître. Sam n’a qu’un bras et la vue qui s’éteint. Danny, inadapté, placé dans un foyer jusqu’à la venue de ce frangin inattendu, sent la mort qui rôde et parle aux morts.

L’éternité n’est pas pour nous, c’est l’histoire de gens cabossés qui se retrouvent dans une unité de temps et de lieu. Hasard ou fatalité, leurs existences parallèles finissent par se croiser, en une perpendiculaire vertigineuse ouverte sur le gouffre, sur un chemin commun où les événements interférent vers une issue que l’on devine tragique. Le roman est à la hauteur du titre, magnifique.

Delperdange drape sa prose et son propos d’une apparente simplicité. On est loin d’une littérature qui en impose, qui se la pète et écrase, ici les mots sont simples et disent la douleur avec humilité. Delperdange n’est pas bavard, il ne s’étale pas sur le passé ou la psychologie de ses caractères. Il ne raconte pas, se contente de fragments, d’allusions, pour exprimer les deuils, les regrets ou les rêves. C’est par les dialogues, qui sonnent parfaitement juste, que l’on soupçonne les dérives et les drames qui les ont menés au même tournant de cette même route. Comme dans la vraie vie souvent, pas de longs discours, pas d’explications, et beaucoup de blancs, que le lecteur remplit d’émotions connues, ou d’horreurs supposées. Puis, quand les non-dits ne suffisent plus, ce sont les coups, de poing ou de feu, qui meublent les silences, dans une tentative éperdue de forcer le destin.

Déterminisme social ? Un peu. Les petits morflent plus que les autres, il est vrai, et les nantis sans cœur et sans limite manquent d’humanité. La ritournelle, pour en être connue n’en reste pas moins puissante, toujours aussi révoltante. Mais pas que. Prime l’impression que ce sont surtout les salopards qui s’en sortent. Et cette saloperie est assez bien répartie. Les mesquins, délateurs, voyeurs, profiteurs prennent, sous la plume du belge, des allures de normes, tant ils sont nombreux.

L’éternité n’est pas pour nous n’est pas un roman joyeux. Il n’est pas sordide pour autant. L’ironie n’est jamais loin dans cette peinture des bas du front, des petits notables, des contents d’eux, des gardiens des traditions. La pureté s’oppose à la médiocrité avec d’autant plus de grâce qu’elle est l’exception. Et qu’elle peut subvenir à tout moment. On reste donc sur le fil. Dans la nuance, dans le gris. Au bord du vide, des larmes. A redouter. A Espérer.

Marianne Peyronnet