Bien inspirées les éditions Corti qui rééditent ce qui devrait être un classique de la littérature anglaise

 

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si son auteur, Elizabeth Gaskell, n’avait été éclipsée par d’autres romancières plus fameuses, telles Jane Austen ou les sœurs Brontë. La sorcière de Salem est publié pour la première fois en 1861 et revient sur une histoire tristement célèbre survenue en 1691 à Salem, un village de Nouvelle-Angleterre, où des accusation de sorcellerie parmi les membres de la population locale ont mené à l’arrestation de plus de deux-cents personnes et à la pendaison de dix-neuf victimes.

Elizabeth Gaskell a choisi d’incarner l’horreur à travers le destin de Loïs Barclay, jeune anglaise devenue orpheline, forcée de rejoindre les Etats-Unis pour aller vivre dans la famille de son oncle. Le déracinement de Loïs est d’autant plus déchirant qu’elle laisse dans son pays l’homme qu’elle aime. Dès ses premiers pas sur le sol du Nouveau Monde, elle est perdue. Elle ne comprend rien aux mœurs étranges des colons. Les Indiens sont une menace diffuse. Et elle n’est pas attendue. Son oncle, malade, est sous la coupe de sa femme, Grace, qui fait comprendre à sa nièce, dès son arrivée, qu’elle n’est pas la bienvenue.

Pour faire comprendre les raisons profondes de ce rejet, l’auteur prend soin, par allusions subtiles, d’expliquer le contexte. Au début du XVIIème siècle, en Angleterre, Calvinistes, Presbytériens et Puritains, sous l’influence de Cromwell s’opposent aux Stuart, représentés par Charles 1er. La croyance en la sorcellerie devient le symbole de cet antagonisme. Les passagers débarqués du Mayflower en 1620 sont des Puritains chassés par les Stuart. Ils fondent en Amérique des communautés austères où boissons fortes, jeux de hasard et relations sexuelles à but non procréatif sont interdits. Prières, rites de plus en plus rigoristes, pénitences rythment leurs journées. Rire, aimer, se divertir deviennent des activités sataniques qu’il faut punir.

Loïs est fille de pasteur jacobite, autant dire qu’elle n’est pas en odeur de sainteté dans cet univers clos, suspecte a priori. Son isolement au sein de sa nouvelle famille grandit, elle ne trouve grâce aux yeux de personne dans cette ville où tout le monde épie son voisin, le soupçonnant d’être moins pieux que soi-même, où le zèle religieux est la norme. L’atmosphère sclérosée fait écho aux paysages hivernaux, glaciaux de Nouvelle-Angleterre. Tout n’est que vide, désolation, isolement dans une ambiance gothique accentuée par la présence oppressante de l’immense forêt qui les coupe du monde, ou les en préserve selon le point de vue. Loïs, dans ce cadre, n’a pas les clés pour survivre et se retrouve rapidement accusée du pire. Scènes d’hystérie collective, de tortures ordonnées dans le but de faire avouer les crimes, pendaisons, Elizabeth Gaskell n’épargne pas le lecteur et se révèle d’une efficacité particulièrement moderne lorsqu’il s’agit de dénoncer les travers de cette société paranoïaque, fanatique à l’extrême, qui ne sont pas sans rappeler une certaine actualité tragique de notre monde.

Arthur Miller avait écrit une pièce inspirée de ces faits historiques, dont il s’était servi comme allégorie du maccarthysme, en 1952. En 1957, Raymond Rouleau, secondé par Jean-Paul Sartre au scénario, en avait tiré un film, Les sorcières de Salem, avec Simone Signoret, Yves Montand et Mylène Demongeot. Ce film dégage toujours une atmosphère inquiétante.

Et que dire de l’envoutant long-métrage de Robert Eggers, The Witch, sorti en 2015, qui revisite le mythe, en en soulignant les dimensions fantastiques, d’une façon tout à fait convaincante.

Les sorcières n’ont pas fini de faire parler d’elles…

Marianne Peyronnet