À tout hasard, rendez vous sur le site des Archives Nationales d’Outre-Mer, et tapez votre nom – ou ou celui de votre ennemi – dans le moteur de recherche de la base de données des dossiers individuels de condamnés au bagne1.

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Vous verrez alors s’afficher la liste de tous les condamnés au bagne portant ce nom et, pour ceux qui l’ont été depuis plus de cent ans, vous aurez même accès à leur dossier complet. C’est ce qu’a fait un jour le dessinateur et graveur Roland Cros et c’est ainsi qu’il a découvert l’existence de ce Louis Cros, dit « Minel » condamné pour vol en 1857 à la déportation en Guyane et mort dix ans plus tard, de cause inconnue. Il n’en saura pas plus long que ces quelques lignes inscrites à la plume sur un registre d’écrou et, à partir de cette seule fiche, inventera tout le reste du parcours exemplaire de ce presque anonyme parmi les milliers et les milliers que notre belle France – tant monarchiste que républicaine – envoya pourrir dans ce cul de basse-fosse avant que les reportages d’un Albert Londres et de quelques autres n’en précipitent la fin. Parcours exemplaire, donc, que celui d’un gueux devenu vagabond et voleur par nécessité, arrêté, jugé et prestement condamné par une justice de classe à trimer jusqu’à ce que mort s’ensuive sous les coups des gardiens, des fièvres et de la faim dans un enfer tropical où la vie ne vaut plus rien. Parcours exemplaire, encore, que Roland Cros retrace à sa manière, au fil d’une petite centaine de linogravures en noir et blanc, avec l’aide de deux historiens pour rester au plus près de la réalité du bagne et de la condition de ces hommes qu’il s’agissait avant tout d’isoler de la société par crainte de la contamination. Laissant aux seules images le soin de raconter l’histoire, sans une ligne de texte, il renoue de façon délibérée avec l’économie du roman graphique dans son acception d’origine, celle d’un Frans Masereel ou d’un Otto Nückel qui, au temps même où le récit se déroule, inventaient une nouvelle façon de militer par la gouge et le ciseau. Il en résulte un album intemporel et parfaitement maîtrisé, où se déploie une même urgence expressionniste à dire que chez ses illustres prédécesseurs, au moyen de cadrages dynamiques, par moments presque cinématographiques mais, quoi qu’il en soit, toujours lisible sous le grouillement d’une technique toute en hachures qui, bizarrement, rappelle plutôt la carte à gratter que la gravure proprement dite.

Yann Fastier

1http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/bagnards_dossiers_individuels/?