La directrice de casting note de lui, « physique quelconque. Visage commun ».

 

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Avec de tels qualificatifs, difficile de se positionner sur une liste d’acteurs potentiellement bankable. Tout au plus pourrait-il être sélectionné pour jouer un anonyme dans une foule. Ça tombe bien pour cet amoureux du cinéma de Melville vouant un culte à son Samouraï, film dans lequel un tueur à gage vêtu d’un impair beigeasse cultive l’art de passer inaperçu et échappe à ses poursuivants en s’évanouissant dans les couloirs du métro. Mais voilà. Si Delon crève l’écran malgré son rôle de passe-partout, le héros de Microfilm ne fait que crever la dalle. Alors, quand une mystérieuse agence, La Fondation pour La Paix Continentale, lui propose un job, même s’il s’agit d’un malentendu, il accepte le poste. Bien payé, bien situé. Place Vendôme. Là, il rencontre ses collègues. Ne comprend pas plus leur fonction que la sienne au sein de cet organisme à but non défini. Il s’y rend néanmoins tous les jours, s’y choisit le statut de chargé de mission et « très vite, il a tout loisir d’explorer les innombrables possibilités que la vie de bureau offre à un employé de procrastiner, buller, baguenauder, lambiner, glander. Bref, il n’en fout pas une rame. »

Jamais désigné que par l’emploi, même fictif, qu’il occupe dans l’existence aux yeux des autres, le héros de Microfilm, tour à tour nommé le chercheur d’emploi, l’employé de bureau…est tout le monde et personne. Comme suivi par un observateur invisible, il est examiné à la loupe et Emmanuel Villin détaille, avec minutie et un amusement détaché, les infimes péripéties qui jalonnent son existence. Commandera-t-il du pâté ou du saucisson au Jean Nicot, le bar où il se rend pour déjeuner ? S’éloignera-t-il, au cours de pauses de plus en plus longues, jusqu’au Louvre ou au Grand Palais, flânant au gré de sa contemplation de Paris, magnifiée sous ses yeux ?

Les gestes de la quotidienneté, les légers désagréments de la vie moderne sont mis en relief, décortiqués par une langue précise, autopsiés au présent. L’auteur nous plonge dans l’incongruité d’une existence ordinaire qui nous rappelle drôlement des fragments de la nôtre. Comment s’investir dans un boulot où l’on se sait inutile ? Pourquoi se lever le matin ? Comme certains taiseux fascinent par leur mutisme, Villin excelle dans l’art de ne « rien écrire ». Déjà, dans Sporting Club, paru en 2016, toujours chez Asphalte, il nous contait les mésaventures d’un héros qui ne faisait rien d’autre qu’attendre. Il faut être très fort pour écrire un roman où il ne se passe rien, où la normalité finit par avoir l’air absurde à force d’être prosaïque. Vous ne trouverez pas ici de réponse au sens de la vie. Dans Sartre ou Camus non plus, d’ailleurs. Et s’il n’y a pas de réponse, c’est peut-être parce qu’il n’y a pas de question.

Marianne Peyronnet