Il est des lectures qui ne font pas plaisir. Et je ne parle pas du plaisir de lecture, qui est ici énorme.
Je parle du sentiment profond de découragement, d’écœurement que l’on ressent en découvrant les manipulations ou les méthodes expéditives du monde de la finance internationale détaillées dans Racket. On le savait, hein, que les requins mordent et que leurs dents sont longues, mais Manotti a l’art de mettre du sel sur les plaies.
En s’emparant de l’histoire du braquage d’Alstom, devenue Orstram sous sa plume, par une entreprise américaine en 2014, elle fait beaucoup plus que nous rappeler cette anecdote, presque oubliée. Parce que ses personnages sont incarnés, ne sont pas de simples coquilles vides mais ressentent, agissent, vivent, elle nous fait saisir l’ampleur du désastre ainsi que les conséquences de certaines méthodes abjectes sur ceux qui les subissent. Chantage, intimidation, corruption, meurtre, ceux qui veulent encore plus de pouvoir et d’argent sont prêts à tout. Et Noria Ghozali, à qui l’enquête est confiée, et malgré la détermination dont elle fait preuve, est toujours en retard d’une magouille, d’autant qu’elle se heurte à l’immobilisme de ses donneurs d’ordre, incapables de prendre la mesure de ce qui se trame sous leurs yeux. PDG calculateur, sûr d’être intouchable ; collaborateur arriviste et vénal ; politiques incompétents et/ou serviles ; hauts fonctionnaires cyniques… chacun a sa place dans la mécanique et joue son rôle au mieux de ses intérêts personnels. Le constat est tristement sans appel : inutile de lutter, les dès sont pipés, la partie est perdue d’avance.
Il faut un immense talent pour parvenir à décortiquer les ressorts politico-économiques et les présenter simplement, sans perdre le lecteur. Manotti y parvient, l’air de rien, sans lourdeurs, par le biais d’une intrigue bien ficelée. Si elle nous sait néophytes, la dame a confiance en nous, en notre intelligence. En ces temps où d’autres s’adressent à nos temps de cerveau disponible pour nous vendre des lessives, voilà qui est particulièrement réjouissant.
Pour son entrée à equinox, la nouvelle collection de romans noirs créée par Aurélien Masson, elle prouve qu’elle est toujours aussi percutante, et énervée.
Marianne Peyronnet