Issu d’une série de conférences données à l’université de Harvard,

 

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ce petit livre pourrait sembler marginal vis-à-vis du reste de l’œuvre de Toni Morrison, assurément l’une des plus importantes figures de la littérature américaine contemporaine. Il n’y est cependant pas question d’autre chose que de ce qui fait le cœur même des romans de l’auteure, à savoir la question de la race et, plus largement, celle de l’Autre tel que le construit l’idéologie raciste. Le racisme précède la race, rappelle Ta-Nehisi Coates dans une préface éclairante : le raciste ne cesse de réinventer la race dans une tentative désespérée pour se définir lui-même et préserver « (un) moi devenu étranger à lui-même ». Dit comme cela, la chose peut paraître abstraite et, somme toute, anodine. Toni Morrison se charge d’en rappeler la très concrète réalité : viols systématiques, travail exténuant, meurtres et lynchages impunis, voire encouragés, climat généralisé de peur… on a peine à imaginer ce que fut – et ce que reste encore largement – une vie noire dans la libre Amérique et le degré de violence inouï auquel elle se trouve exposée. Où le raciste trouve-t-il sa justification et son humanité, sinon dans celle-là même qu’il dénie à l’autre ? Et de doctes médecins de justifier toutes sortes de sévices par l’inhumanité présupposée des Noirs, auxquels sont attribuées toutes sortes de caractéristiques étranges, telle cette incompréhensible drapetomania ou maladie qui pousse les esclaves à s’enfuir... Avant les chaînes, avant les coups, le raciste se paye en effet de mots et les mots, c’est avant tout l’affaire de la littérature. Cette figure racialisée de l’Autre, Toni Morrison la repère bien sûr dans les tentatives pour embellir l’esclavage, comme chez Beecher Stowe, mais aussi chez les plus sacralisés des auteurs blancs, tels Hemingway ou  Faulkner et son obsession de « l’unique goutte de sang » nègre. Déconstruire cette construction, faire entendre la voix de l’autre, c’est ce qu’elle s’est donné pour tâche tout au long d’une œuvre sur laquelle elle revient pour finir avec intelligence et sensibilité, toutes qualités qui semblent se faire un peu rares dans l’Amérique de monsieur Trump.

Yann Fastier