« Ce qui me fascine, ce sont les contre-cultures moralement douteuses ou quasi-illégales, ceux qui vivent leur passion au risque de se faire coffrer ou stigmatiser par la société. »

 

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C’est par ces mots que Mark Haskell Smith, écrivain réputé pour ses polars désopilants (Défoncé, A bras raccourci, Ceci n’est pas une histoire d’amour, Delicious, Salty, tous parus chez Rivages) explique la démarche qui l’a poussé à aller faire un tour du coté de chez les nudistes, après être allé rendre visite aux cultivateurs de cannabis. Immersion intégrale, donc, et grande première pour l’américain, décidé à bousculer ses certitudes et sa pudeur en payant de sa personne et en exposant son intimité au regard d’autres gens. Car s’il existe un consensus sur le nudisme, c’est la définition de cette activité de plein air : c’est une activité sociale, qui n’a rien à voir avec le fait d’aimer se promener à poil, seul, entre sa chambre et sa salle de bain. Sociale donc, sous-entendu, en groupe. Allez, hop, cette fois, il enlève le bas !

Le propos est joyeux, l’autodérision de bon aloi, ce qui n’empêche pas le sérieux. C’est bien dans une enquête journalistique, historique et sociologique poussée qu’il nous entraîne, dans différents coins du globe. Smith a plein d’interrogations au début du reportage, il cherche à comprendre, en véritable ethnologue, ce qui peut amener certains d’entre nous à se mettre tout nus en compagnie d’autres gens tout nus, et surtout pourquoi déambuler à découvert dérange au point d’être parfois passible d’emprisonnement. Après tout, nous ne couvrons nos attributs sexuels que depuis quarante millions d’années, notre pulsion à la nudité est innée, et la vitamine D est bonne pour la peau. Alors, pourquoi nos sociétés occidentales associent-elles nudité et sexualité, au point de nous enterrer vêtus de nos plus beaux atours ?

Smith se désape successivement dans des clubs fermés aux USA (où par peur d’avoir un comportement ambigu, les individus nus sont convenables, sympas et un peu ennuyeux), en Espagne (où vêtus et dévêtus cohabitent respectueusement), en France, au Cap d’Agde (où, dans le Centre entouré de murs d’enceintes de trois mètres de haut, les costumes d’Eve et d’Adam le jour sont échangés contre des tenues SM la nuit), en Autriche (où il découvre que crapahuter dans la montagne est plus agréable sans chemise et sans pantalon qu’accoutré comme un ours polaire).

Au cours de son périple, Smith livre ses impressions, vierges de tout a priori et non dénuées d’humour (« La plus grande crainte n’est pas d’avoir une érection, c’est que vos testicules remontent, que votre pénis se rétracte et que vous finissiez par ressembler à Ken. ») Et on apprend, en s’amusant, une multitude d’anecdotes sur les conceptions de la bienséance selon les époques ou la géographie, anecdotes qui se parent d’une dimension philosophique, éthique. Saviez-vous que le gouvernement américain a encouragé la lecture des magazines naturistes pendant la Seconde Guerre mondiale afin que ses trouffions, soulagés par la vue de seins nus, ne versent pas dans l’homosexualité ? Qu’Hitler a fait fermer des sociétés nudistes, trop marquées socialistes, pour en faire ouvrir d’autres dédiées au culte du corps idéal ? Que le plus sexy n’est pas la nudité, mais l’effeuillage ? Que l’épilation des poils pubiens vient de l’esthétique porno ? Que l’image véhiculée dans les revues sur le sujet, celle d’humains jeunes, beaux, attirants et sains est souvent mise à mal sur place par le spectacle de corps vieux et obèses ? Que le nudisme a pu, peut être, anarchique, révolutionnaire, réactionnaire, rigoriste, sanctionné, encouragé selon les périodes ? Que son avenir se dessine vegan, antidiscriminatoire et qu’il trouve un nouveau souffle avec les réseaux sociaux ?

Smith affirme qu’il ne deviendra pas nudiste après cette expérience, même s’il a ressenti finalement un grand bien-être, naturel, enfantin, à se déculotter. Que déambuler le kiki à l’air lui a de permis de mieux s’accepter physiquement. Et s’il répond à beaucoup de questions que vous n’avez jamais osé vous poser sur le nudisme dans cette investigation dense et poilante, il y en a une à laquelle il n’apporte pas de réponse : la société punit-elle les nudistes parce qu’elle a peur du plaisir qu’ils prennent ?

Marianne Peyronnet