Clovis Goux n’est pas fan des Carpenters, pas même de la moitié féminine du duo, Karen.

 

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Son livre n’est pas une bio à la gloire d’une énième icône sacrifiée sur l’autel du star system. Faut dire que la pop du dit groupe, niaise jusqu’à l’écœurement, est dure à avaler. Trop de sirop tue le sirop. Non, ce qui l’intéresse dans ce court récit, tenant plus de l’essai que du déroulement chronologique d’anecdotes concernant la fratrie Carpenter, c’est que la vie de la chanteuse semble plaquée au destin des USA, que sa chute semble un symbole du déclin du rêve américain. Clovis Goux a choisi un bon angle d’attaque pour parvenir à nous intéresser à la vie de Karen dont, au départ, on se foutait autant que de la mort de Johnny. Tout est dans le symbole, on vous dit. La jeune Carpenter, donc, est et restera tout au long de son existence, un emblème de la classe moyenne et de ses valeurs traditionalistes. Ce n’est pas un hasard si le groupe rencontre un succès énorme au début des 70’s. Richard et sa sœur sont les enfants modèles de l’Amérique blanche conservatrice, celle qui n’a pas eu voix au chapitre durant toute cette période agitée anti-vietnam, celle qui prend sa revanche, maintenant que l’assassinat de Kennedy a fait perdre aux idéalistes leur innocence, maintenant que le Summer of love est loin. Les hordes de hippies chevelues digèrent leurs remontées d’acide. L’heure est au retour à l’ordre. Les Carpenters, Nixon l’a bien compris, sont une arme au service de la famille, du pays, de Dieu. Leurs chansons, des reprises de vieux standards pour la plupart, glorifient l’amour, le vrai, celui qui implique que la mère reste à sa place, à la maison et qu’elle accomplisse ce pour quoi elle est faite, les courses. Mais voilà, Karen n’est pas qu’une sœur et une fille, elle est aussi un être humain, douée pour le chant et la batterie, qui souffre et désespère de s’exprimer autrement que comme l’ombre de son frère. Les disques se vendent par millions et Karen maigrit à vue d’œil. Le Dulcolax, ce puissant laxatif qu’elle gobe du matin au soir, lui permet d’effacer ses rondeurs adolescentes, de se conformer à l’image qu’on attend d’une star, en même temps que, paradoxalement, perdre trop de poids lui donne l’illusion de contrôler enfin son destin. Karen meurt d’épuisement en 1982, à trente-deux ans, squelettique à se briser les os. C’est avec beaucoup de finesse dans l’analyse autant que dans le style, non dénué d’humour, que Clovis Goux dresse un portrait au vitriol d’une certaine Amérique prête à dévorer ses enfants en même temps qu’elle tue ses rêves. Idéal consumériste avec ses centres commerciaux, ses shows télé sponsorisés par des marques de dentifrice, archétype féminin de la ménagère joyeuse : tout cela s’écroule au début des 80’s. Les pauvres ne passent pas la seconde et les petites filles sages crient leur révolte en se faisant crever de faim.

Marianne Peyronnet