Le petit patron réactionnaire d’une fabrique de meubles ordonne à une poignée de jeunes ouvriers d’aller se faire couper les cheveux.
André et ses camarades traînent les pieds, tergiversent et refusent d’obtempérer. Face à la pression sociale et familiale, André finit cependant par céder, avant de s’immoler par le feu devant l’usine.
Inspiré d’un fait-divers réel, La coupe à 10 francs fait un peu figure d’OVNI dans le paysage cinématographique français de l’après-Mai, plus souvent préoccupé de leloucheries que de réalisme social. Tourné en 1974 dans des conditions financières difficiles, le film n’aura jamais connu de réelle distribution après sa présentation au festival de Cannes, malgré des critiques unanimement élogieuses. Vendu et revendu à l’encan, il acquiert cependant au fil des ans un statut de rareté dont chaque ressortie hasardeuse constitue un petit événement en soi et permet de vérifier qu’il n’a pas pris une ride. C’est que le réalisateur, Philippe Condroyer – dont le principal autre fait d’armes reste Tintin et les oranges bleues – ne prétend pas s’inscrire dans le cadre parfois trop étroit du cinéma militant : profondément ulcéré à titre individuel par un fait-divers qu’il découvre dans la presse, il en tire un drame déchirant qui, par-delà tout discours, fait appel au sens inné de la justice de chacun. Porté par un scénario dégraissé à l’extrême autant que par le naturel de ses jeunes acteurs et la musique free d’Anthony Braxton et Antoine Duhamel, il s’achemine avec une logique implacable vers une conclusion d’autant plus tragique que l’enjeu en paraît dérisoire. Est-ce bien cependant une simple question de cheveux ? N’est-ce pas d’abord et uniquement une question de dignité, de ce respect auquel chacun a ou devrait avoir droit et dont, pour n’avoir pas su poser de mots sur sa révolte, André se voit impitoyablement dépouillé. Alors qui pour se tenir à ses côtés ? Qui pour effacer ce petit sourire de triomphe sur la gueule du patron ? Qui pour lancer le premier cocktail Molotov ?
Yann Fastier