En ces temps confinés, il est bon, parfois, de se rappeler qu’il y a pire ailleurs.
Le Vénézuela, par exemple. Pedro, la douzaine, vit seul avec un père le plus souvent absent dans un quartier populaire de Caracas. Agressé par un petit voyou, il le tue accidentellement. Son père, averti, l’entraîne dans une fuite éperdue où ils se retrouveront peut-être pour enfin commencer une nouvelle vie.
Ce film, court, sec comme un coup de trique, est d’abord un constat : le Vénézuela va mal. Violence, pauvreté, délinquence, inflation galopante… plus rien ne semble possible dans un pays bloqué où chaque jour est gagné sur le précédent au moyen d’une lutte incessante. Petits boulots, petits trafics, les pères n’ont plus le temps de s’occuper de leurs enfants, qui s’élèvent eux-mêmes dans les coursives et dans les ruelles de grands ensembles aux allures de mauvais rêve. C’est aussi l’histoire, pudique, d’une relation qui reste à refonder. Andrès, le père, connaissait-il son fils ? Que savait Pedro de son père ? Et que pense-t-il de lui en le voyant s’abaisser, s’humilier, se battre pied à pied pour gagner les quelques sous qui leur permettront de fuir et de se cacher ? Lui ne le veut pas, prétend pouvoir affronter le gang en vrai petit macho que la vie n’a pas encore contraint d’en rabattre. Tout de grâce préadolescente, rétive et butée, il ne réalise pas la gravité de la situation. Quand la réalité, brutale, le rattrape enfin, il comprend que l’héroïsme n’est sans doute pas là où il le croyait et que son père, d’une manière ou d’une autre, a toujours été là pour lui.
D’aucuns en auraient fait un thriller, avec coups de feu et poursuites haletantes. D’autres en auraient rajouté, surjouant l’émotion de ces possibles retrouvailles. Gustavo Rondón Córdova, dont c’est le premier long-métrage, préfère la jouer sobre : la violence est hors-champ, pas une larme ne sera versée. La touche est légère, allusive, à peine perceptible, parfois, et l’on n’est même pas sûr qu’il y ait de la musique. Mais c’est justement cette retenue qui fait la force du film et le hausse à la hauteur de ces modèles revendiqués que sont les frères Dardenne, Asghar Farhadi ou Pablo Larraín.
Yann Fastier