Il faisait des photographies d’art, mais l’art ne remplit pas les assiettes.

 

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Alors, le voilà photographe d’assiettes, de pots de fleurs posés sur des tables agréablement dressées, agrémentées de nappes aux teintes qui flattent l’œil du consommateur. Bref, le voilà reconverti dans la photo de pub pour meubles. On dira ce qu’on veut, c’est tout un art de choisir quel angle mettra le plus en valeur le canapé et quelle lumière reflètera le mieux l’image idyllique de la gentille famille installée dessus. Ce canapé, tout le monde le voudra, même s’il est jaune, s’il figure en bonne place dans le catalogue. Il n’est pas très fier de son nouveau job, et encore moins de se faire enguirlander devant tout le monde quand le rendu n’est pas à la hauteur des espérances de l’annonceur. Au moins son boulot lui a-t-il permis de séduire, puis de s’installer, avec Nathalie, mannequin vedette de la boîte, celle qui sait mettre en valeur les décors dans lesquels elle feint la plénitude. Plénitude qu’elle atteint parfaitement sur papier glacé mais pas du tout dans la vie réelle, vu qu’elle est plus obsédée par une tache à nettoyer qu’à atteindre le septième ciel avec son nouvel amant. Il décide alors de concilier ses deux passions, les fesses et la photo, en montant un site porno artistique.

Céline Zufferey s’y entend pour ébranler le monde aseptisé et conformiste qu’est notre quotidien. Dialogues au cordeau, phrases courtes et percutantes comme des slogans publicitaires, elle se moque avec mordant des désirs formatés, compulsifs. Le lisse, le propre écœurent et l’on se prend à rêver de désordre, de chaises renversées et de draps froissés. Ce sont les flous esthétiques ou les gros plans singuliers des clichés érotiques qu’on aimerait détailler finalement, et l’idée d’un catalogue Ikea finirait par donner envie de vomir dedans. La scène où Nathalie, en quête d’un nouveau canapé justement, le traîne dans le magasin même où ils travaillent parce qu’ils y ont des remises, est désopilante. Symbole de la solitude de l’homme qui se contrefout des canapés et du reste, elle se termine par le collage en règle d’un chewing gum sur un accoudoir immaculé, et nous venge de ces après-midis (nécessaires ?) passés dans ces zones commerciales loin des centres-villes qui nous déclenchent des pulsions de meurtres, de lynchages de stylistes, d’urbanistes et de gosses mal élevés.

Mais que les hommes se rassurent, toutes les femmes ne sont pas des potiches, des folles du ménage et du paraître. Il y en a plein qui sont folles d’autre chose…

Marianne Peyronnet