Les coups pour seuls souvenirs.

 

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La fureur du père et ses poings qui s’acharnent, sans raison, sur son corps d’enfant terrifié. La haine pour unique sentiment. Des années que Vincent, flic, la quarantaine, n’avait pas vu son paternel. Ce dernier va mourir et ce qu’il fut va disparaître. Déjà, ses membres décharnés miment son futur cadavre. Khalil s’en va, ses mots se perdent. Ses dernières paroles, des aveux peut-être, sont prononcées dans une langue que Vincent n’a jamais apprise, l’arabe. Vincent enregistre, retranscrit sa mémoire.

Qui était ce père, effroyable et secret ? Dans les pas de Vincent, on remonte le fil. D’une histoire intime, on apprend l’Histoire. Une leçon. Comme Vincent qui ne voulait pas savoir, réfugié, à l’abri dans ses certitudes, ses jugements définitifs, on avance à tâtons. L’Algérie. La bravoure contre la lâcheté dans les deux camps. Les conséquences d’une guerre qu’on pensait terminée et qui n’en finit pas, toujours prête à rugir, dans la violence d’un père, dans celle des flics de bonne souche envers ces Autres, dans celle des générations dites deuxièmes ou troisièmes envers une France qui a refermé le pansement sans nettoyer la plaie. Khalil n’était pas qu’une brute, qu’un père. Rien ni personne n’est tout noir ou tout blanc. Le gris domine, aussi foncé qu’un ciel d’octobre un soir à Paris. Avant, Khalil a combattu, a choisi un camp. Exilé, il sera toujours resté un étranger. Les révélations sont douloureuses. La transmission, tardive, nécessaire fait souffrir.

Thomas Sands n’explique pas et dévoile pourtant. De faits, d’horreurs il est question, bien sûr. Le camp de Nanterre. Les amis de la France parqués dans un bidonville. Obligés de se plier aux injonctions du FLN de manifester, notamment le 17 octobre 61. Pour finir dans la Seine. Mais surtout Sands incarne. Le cul entre deux chaises. La fierté mise à mal, ravalée. La honte des origines léguée en héritage. La peur omniprésente. Se faire tout petit. Rester quand même un étranger. Etre coupé en deux. Comme Vincent, dans ce boulot de flic qu’il ne comprend plus à mesure qu’il apprend qui il est. Dans cette France de maintenant, « un pays perfusé à la trouille, qui se chie dessus », où tout fait peur, et avant tout les Autres. Migrants, immigrés, sans papier, différents, dont on se complaît à ignorer l’histoire. A l’abri dans nos certitudes.

Marianne Peyronnet