Un père, que l’appel du large avait fait quitter femme et enfant, est revenu après des années d’exil sur tous les océans du monde, à la mort de son épouse.

 

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Pour retrouver qui ? Ce fils qu’il avait rêvé son semblable, ce petit garçon amoureux du vent qu’à son retour il n’a pas reconnu.

Un fils, désespérément seul après la mort d’une mère aimante, seul au point de se faire peur lui-même lorsqu’il croise le chemin des filles, est incapable d’aimer ce père qui l’a abandonné.

Ces deux-là ne s’adressent plus la parole depuis des années. Ensemble, ils pêchent leur maigre subsistance sur leur Princesse devenue Gueuse. Les gestes, précis et routiniers, ont remplacé les mots. Ils savent ce qu’ils ont à faire, sans un regard, même lorsqu’il s’agit de convoyer quelques migrants sur leur route vers l’Angleterre. Il faut bien gagner de quoi payer le fuel pour continuer à sillonner une mer bientôt stérile.

J’avais dit tout le bien que j’avais pensé de Crocs, le premier roman de Dewdney publié dans la collection Territori. S’il quitte la terre ferme pour un périple maritime, son écriture conserve ici toute sa puissante intensité. Il existe un terme pour désigner chaque chose et la lecture de ses romans nous rappelle, en creux, combien la langue est malmenée dans notre époque de l’à-peu-près. L’exactitude du vocabulaire prend tout son sens pour nous familiariser, sans maniérisme, avec un univers inconnu, et facilite la compréhension de l’état d’esprit des personnages, immergés dans une réalité qui leur est propre. Leurs outils sont nommés, de même que les poissons qu’ils attrapent, les plantes des dunes, la couleur du ciel, le type de douleur qu’ils endurent. Les objets, les sentiments ont un nom ; les hommes n’en ont pas. Peut-être pour souligner leur manque de communication. Peut-être que les hommes ne méritent pas de nom. Peut-être parce que chez Patrick K. Dewdney, la nature parle à la place des hommes. Et qu’elle dit la colère, la rancœur, le manque d’amour mieux que les deux héros. La nature, mise à mal, se déchaîne. Tout est humide et froid, sur le frêle esquif, dans leur cabanon de fortune, dans leur cœur. On ne peut pas en vouloir à la tempête, peut-on en vouloir aux hommes ? Sûrement. A moins que l’humanité, sous les traits d’une petite fille réfugiée, ne soit sauvée…

Marianne Peyronnet