Deux jeunes boxeurs que tout oppose, un chef d’entreprise masturbateur, un clochard kleptomane, des prostituées sentimentales, des étudiants se proposant de construire un « suicidotron »...

 

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Ceux pour qui le Japon se résume aux splendeurs un peu compassées de Yasunari Kawabata seront déçus. Celui de Terayama s’éclaire au néon plutôt qu’à la bougie et la télé y dévide plus volontiers ses rengaines et ses pubs qu’un petit air de shakuhachi au milieu d’un jardin zen. C’est que nous sommes à Shinjuku – le quartier des plaisirs de Tokyo, entre Pigalle et le St Germain de la grande époque – qui plus est dans les années 60 où, après des années de privation et « miracle économique » aidant, le Japon accède à une consommation de masse dont la course folle aura nécessairement ses laissés pour compte. Ce petit peuple bancal de losers et de sous-prolétaires, aussi souvent touchant que grotesque, Terayama le connaissait bien pour l’avoir fréquenté de près lors de ses années de formation où il fut, entre autres, caissier de maison de jeu, parfaitement à son aise dans ce « monde flottant » dont ses films imprégnés de folie surréaliste et, surtout, son théâtre se feront plus tard les représentants.

Car si Devant mes yeux le désert… reste encore à ce jour son seul livre traduit en français, Shuji Terayama fut un auteur plus que prolifique, à la tête d’une œuvre considérable et tout azimut, de la poésie au théâtre, de la chronique sportive au cinéma. Mort à 47 ans, il cultiva aussi bien les genres les plus raffinés (un prix qui porte son nom récompense les meilleurs tanka depuis 1996) que réputés les plus vulgaires (il fut un spécialiste incontesté de la boxe et du turf), et demeure encore aujourd’hui l’une des figures les plus respectées du théâtre d’avant-garde.

Inculte ne l’est donc pas tant que ça, qui réédite aujourd’hui ce roman justement culte, initialement paru chez Calmann-Lévy en 1973, et dont l’humour, la crudité, la folie et, finalement, la mélancolie en font le parfait pendant littéraire d’un Nobuyoshi Araki ou d’un Daido Moriyama.

Yann Fastier