Une île de glaise dérivant au hasard sur un océan de sable, peuplée de jeunes gens ignorants de leurs origines…
De mystérieux assaillants dénués de tout sentiment… D’un jour à l’autre, Chakuro, Samy et leurs amis voient leur vie paisible bouleversée de fond en comble. Leur existence désormais sur le fil du rasoir, ils doivent découvrir un à un les secrets qui meuvent leur navire et prendre en main leur destin entre deux séances de larmes…
Car on pleure beaucoup dans Les enfants de la baleine : c’est même, d’une certaine façon, le moteur de ce seinen-manga comme on les aime, dont le pitch, comme toujours ingénument invraisemblable, parvient à s’incarner au bout de quelques pages en un univers cohérent, poétique et attachant sous des couvertures aux allures de joyaux. On n’est pas en vain l’assistante de Miyazaki : Abi Umeda a manifestement retenu les leçons du Maître et s’inscrit d’emblée comme l’une de ses héritières les plus douées. Les meilleurs mangas se reconnaissent en général à leur pouvoir d’adhésion : ils ont tout de ces histoires sans fin que l’on se raconte pour s’endormir et que l’on reprend fidèlement, chaque soir, entre dix et vingt ans et dont on ne se souviendra que vaguement plus tard, sauf à les retrouver par miracle dans des BD produites au bout du monde. Le sujet, l’histoire même, n’ont qu’une importance relative : ce sont les archétypes dont elles sont porteuses, les structures qui les sous-tendent que l’on aime à retrouver, d’épisode en épisode, de série en série, avec toutes ces infinies variations qui font leur prix. L’on n’aime jamais tant se rêver orphelin que lorsque l’on se sait en sécurité : peut-être est-ce le secret d’une série comme Les enfants de la Baleine, tout comme celui de tant d’autres. En-deçà des péripéties et des relances scénaristiques, c’est cet esprit d’enfance, ce potentiel intrinsèque de rêverie qu’elle détient qui nous la rend si précieuse, comme un permis de retomber en enfance à validité illimitée, la clé retrouvée de toutes les boîtes à trésors, un Copains d’avant de tous nos compagnons d’aventure.
Yann Fastier