En rentrant chez lui, Wahhch Debch trouve le cadavre de sa femme, atrocement mutilé.

 

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La police canadienne identifie rapidement le meurtrier, un Indien mohawk retranché dans sa réserve, mais montre peu d’enthousiasme à l’idée d’aller l’arrêter. Wahhch se lance donc seul à sa poursuite. Publié dans une collection de littérature générale, le roman de Wajdi Mouawad est assurément un roman noir. Il en a tous les ingrédients : une enquête criminelle, la peinture d’un milieu (ici, de plusieurs), une analyse approfondie de l’environnement social et culturel dans lequel vivent les protagonistes, une volonté de décrire l’état d’un monde en souffrance pour en souligner les dysfonctionnements. Il est aussi un roman d’une grande tenue, et d’une extrême rigueur quant à la langue et la construction. Il est, surtout, étrange, dérangeant et beau. Le parti pris de l’auteur aurait pu finir par alourdir son propos : à celle des humains qui constituent les (anti)héros de son histoire, il mêle la parole des animaux qui croisent leur route. Chaque chapitre a pour titre le nom latin d’un animal qui explique ce qu’il voit, et dit ce qu’il pense de la situation. Il faut quelques lignes au lecteur avant de comprendre si le narrateur est un chat, un poisson rouge ou une chauve-souris. Cette invention narrative fonctionne parfaitement. Loin de créer de la lassitude, elle stimule au contraire la curiosité et permet de faire avancer l’aventure sans jamais lasser. Le chien d’un paysan aboie ? Son maître lui ordonne de se taire. Pourtant, ce chien désirait simplement alerter Wahhch sur le fait qu’une petite abeille s’était égarée sur son col de chemise. Et la dite abeille de décrire sa peur d’avoir quitté sa ruche, la douceur de la peau de l’homme et l’angoisse profonde qu’elle sent émaner de lui. Surtout, cette astuce littéraire remet l’homme à sa place, une place unique, celle du plus redoutable des prédateurs envers tous les êtres de la Création. Par touches poétiques successives, on comprend ce qui se joue. Subtilement, on plonge dans l’horreur. Les assassinats sauvages d’un meurtrier en fuite sont abominables, ils ne sont pourtant que des faits divers sordides comparés au massacre de Sabra et Chatila, ou au génocide des Mohawks, dont il est finalement question ici. La prise de conscience de la cruauté absolue des hommes fait de la lecture de ce livre un moment éprouvant. Néanmoins, elle change notre perception du monde. Et c’est rare. Il a fallu des années à son auteur pour l’écrire, il a fait des recherches poussées sur tous les animaux qu’il fait parler. Il s’en dégage une telle proximité avec les animaux qui nous côtoient et que nous ne voyons plus, leur regard est si bienveillant à notre encontre que, certes, notre cœur est lourd et nos larmes ne sont jamais loin ; mais si l’on reste capable de s’émouvoir de la détresse d’une fourmi perdue sur un genou, alors peut-être que tout n’est pas perdu.

Marianne Peyronnet