D’aucuns voudraient croire à la disparition du prolétariat.

 

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L’ouvrier serait une espèce en voie de disparition, une bête curieuse, un genre d’ours polaire en marche vers la fosse commune où reposent déjà le Grand soir, la Lutte des classes et l’Avenir radieux.

Ceux-là feraient bien de lire ce petit ouvrage, carnet de bord tenu au jour le jour par un ouvrier, bien vivant celui-là, intérimaire dans une usine de galvanoplastie, quelque part en France profonde. La galvanoplastie, cela consiste à rendre la ferraille inoxydable en la trempant dans un bain de zinc en fusion. Accrochées manuellement à une énorme poutre métallique au moyen de chaînes et de fils de fer, les pièces – qui pèsent parfois plusieurs centaines de kilos – doivent être préalablement nettoyées à l’acide. C’est un travail dangereux, sale, épuisant. Et c’est le quotidien de dizaines d’ouvriers, « embauchés » et intérimaires, dont ces notes donnent à voir la réalité, loin des statistiques et des bureaux d’étude. Une réalité sans fard : Patrice Thibaudeaux, militant libertaire, ouvrier « conscient », comme on disait autrefois, ne cache rien des misères du métier. Aliénation, alcoolisme, accidents, rivalités, bagarres fréquentes, ce pourrait être du Zola si, précisément, Thibaudeaux n’apportait qu’un regard extérieur. Mais prolo, fils de prolo, il sait aussi bien dire la solidarité, la chaleur humaine et la camaraderie d’hommes dont le portrait reste très loin de se fondre dans un modèle unique. S’il n’y a pas d’ouvrier type, il y a de nombreux types d’ouvriers, au nombre desquels beaucoup de braves types, pour qui la solidarité n’est pas un vain mot. L’auteur l’observe : parmi les nombreux intérimaires qui se succèdent à l’usine, ceux qui n’ont pas de racines ouvrières tiennent rarement le coup, pour n’avoir pas, justement, cette culture de l’entraide, la jugeote nécessaire et cet amour du travail bien fait, aussi aliénant soit-il.  L’ouvrier peut être un sale con, ce n’est jamais l’ennemi. L’ennemi, ce sont les encravatés des bureaux, les chefs arrogants, les donneurs de conseils qui n’ont jamais enfilé un bleu de travail ni mis les pieds à l’atelier, bref, les patrons.

S’il écrit ce qu’il vit et ressent sans grand souci de style, Patrice Thibaudeaux ne s’en revendique pas moins de la littérature prolétarienne, telle que définie et inlassablement promue par Henry Poulaille dès les années 30. Les éditions Plein chant, dès leurs débuts, ont voulu se faire l’écho de ces « voix d’en bas » en en rééditant de nombreux témoignages. Loin de toute muséification, ce livre et quelques autres (cf le très récent A la ligne, de Joseph Ponthus) sont là pour en rappeler toute l’actualité, gilet jaune ou pas.

Yann Fastier