Une cité qui vit à l’abri de ses murs pour se garantir des appétits de mandrills anthropophages de dix mètres de haut,
une jeune reine qui ne peut paraître aux yeux du peuple que le visage dissimulé sous un heaume de fer, des géants débonnaires en forme de culbuto et leurs épouses nettement plus en forme(s)… Les mangakas, ça ose tout, d’ailleurs c’est à ça qu’on les reconnaît. Rien ne leur fait peur : le sujet le plus improbable, le pitch le plus extravagant ne saurait les intimider, au contraire. Du reste, c’est bien d’extravagance dont il est précisément question dans ce seinen de fantasy, qui galope avec allégresse sur les brisées de L’attaque des Titans, sans éprouver pour autant le besoin de se mettre un balai dans le tugudu, à l’instar des jeunes scouts tourmentés d’Hajime Isayama. Pour Akihito Tomi, la libido prime à l’évidence sur le bushido et nul jeune mâle classiquement constitué ne saurait le lui reprocher, tant cet aimable composé de violence et de polissonnerie débridée semble brassé à la mesure de ses hormones : une dose de membres arrachés pour deux de fessiers répandus par surprise conviennent parfaitement au cochon qui, paraît-il, roupille en chacun de nous. Quant à l’intransigeante féministe qui veille sur son sommeil, elle n’y trouvera toutefois pas matière à doubler la dose de laudanum : tout cela reste au fond très candide et tout plein d’une belle santé qui nous change de la profonde hypocrisie de bien des « maîtres » occidentaux du zizi mis en cases. Cette sincérité sans faille, cette capacité d’adhésion à ses propres histoires, cette innocence, enfin, c’est d’ailleurs peut-être, en définitive, ce qui donne en général au manga son indéniable pouvoir de séduction et, à Stravaganza en particulier, ce petit goût de revenez-y sans complexes qui nous fera guetter les prochains tomes avec toute la juvénile ardeur d’un amoureux définitif de la reine Viviane.
Yann Fastier