Plus de 430 pages de bande dessinée en bichromie sans la moindre scène de sexe, cela pourra paraître excessif à certains amateurs.
Christophe André, lui, ne s’en serait certainement pas plaint au long - très long - des 111 jours que dura sa captivité. Enlevé en juillet 1997 lors d’une mission humanitaire dans le Caucase, le jeune volontaire de MSF ne devra qu’à un hasard incroyable de parvenir à échapper à ses ravisseurs tchétchènes, qui ne verront jamais la jolie couleur verte du million de dollars qu’ils espéraient en tirer. C’est le récit de cet enlèvement et de cette évasion qu’a choisi de raconter Guy Delisle, délaissant pour cette fois la chronique autobiographique (Chroniques de Jérusalem, Pyongyang…) et l’autofiction rigolarde (Le guide du mauvais père). Plusieurs fois commencé, abandonné et repris sur une période de quinze ans, le projet s’avère d’emblée un tour de force : comment rendre intéressante une histoire dont la plus grande partie n’a pour décor qu’une pièce seulement meublée d’un matelas, d’un radiateur et d’une ampoule ? Guy Delisle y parvient de façon étonnante et, paradoxalement, fait de l’inaction forcée de son personnage le ressort d’un récit tout en tension, où le moindre micro-événement, la moindre variante dans un quotidien désespérant d’incertitude et de monotonie se change en péripétie haletante. Au point que l’évasion elle-même en devient (presque) d’une déconcertante facilité au regard de l’impuissance de l’otage : on revient à la réalité avec la même incrédulité que lui, la découvrant si proche après avoir paru si longtemps inaccessible. Et l’on se dit qu’on est bien peu de choses et qu’il ne serait peut-être pas inutile d’apprendre dès à présent la liste complète des maréchaux de l’Empire, au cas où…
Yann Fastier