Après Nous n’irons pas voir Auschwitz (Cambourakis, 2011), Jérémie Dres continue d’explorer les racines juives de sa famille.

 

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Cette fois, en compagnie de sa mère, il part en Égypte sur les traces de ses grands-parents maternels, originaires d’Alexandrie. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir des nationalistes arabes, Alexandrie fut une ville infiniment cosmopolite, où se cotoyaient toutes les nationalités dans une entente à peu près parfaite. Beaucoup de juifs apatrides y trouvèrent notamment refuge, chassés d’Europe orientale par les pogroms et se fondirent dans une communauté présente en Égypte depuis l’époque pharaonique. Cet âge d’or prit fin en 1948 avec la création de l’État d’Israël et les tensions qui en découlèrent. D’abord pourchassés comme communistes, les grands-parents de Jérémie Dres sont ensuite expulsés vers Israël, avant de s’installer en France et d’y commencer une nouvelle vie. Si nouvelle qu’ils n’évoquaient pratiquement jamais celle d’avant, ayant semble-t-il définitivement coupé les ponts. Intrigué par cet oubli volontaire, le journaliste-dessinateur, lui-même jeune papa d’une petite fille, veut en apprendre un peu plus avant qu’il ne soit trop tard. Déjà, sa grand-mère est morte, et son grand-père trop réticent à évoquer ces « vieilles histoires ». C’est donc sur les lieux mêmes de leur jeunesse qu’il partira sur leurs traces, sur la base d’un vieil album photos retrouvé dans un placard. Il ne trouvera presque rien. La communauté juive, jadis florissante, a quasiment disparu et les rares gardiens de cette mémoire en sont réduits à louvoyer avec un pouvoir dictatorial qui ne les tolère que pour des raisons d’affichage politique, dans un contexte de tensions confessionnelles exacerbées. Ce sera donc une exploration en creux, où il sera essentiellement question de cette absence, l’occasion rare d’évoquer ces oubliés de l’Histoire que furent les milliers de Juifs expulsés des pays arabes au moment de la naissance d’Israël. S’il n’est évidemment pas question de le mettre en concurrence avec le drame palestinien, on ignore le plus souvent celui de ces Juifs « orientaux » qui, ayant tout perdu, ne furent pas forcément mieux reçus en Israël où ils étaient perçus par l’élite ashkénaze comme des « analphabètes, inadaptés aux sociétés modernes ». Comme en Algérie française (ce dont témoigne par exemple Le chat du rabbin de Joann Sfar) ils avaient bien en effet bien plus de points communs avec les populations arabes qu’avec les survivants européens de la Shoah à l’origine de l’État. Comme le dit l’une des protagonistes du livre, chercheuse interrogée par l’auteur, « on partageait la langue, la cuisine, la culture (…) Nous sommes devenus ennemis malgré nous ».

Si elle n’apporte rien d’exceptionnel, cette honnête bande dessinée documentaire ajoute néanmoins très utilement sa pierre à la connaissance « graphique » d’un Orient décidément compliqué, en rejoignant une bibliographie déjà bien fournie, entre le Gaza 1956 de Joe Sacco, Les meilleurs ennemis de Jean-Pierre Filiu et David B., Coquelicots d’Irak de Brigitte Findakly et Lewis Trondheim et bien d’autres, dont les éditions Steinkis, depuis une dizaine d’années, se sont régulièrement faites l’indispensable relais. 

Yann Fastier