Pour avoir sauvé un lutin de pirates sanguinaires,

 

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le vaillant capitaine Trèfle n’hésitera pas un instant à passer dans l’autre monde pour secourir le Petit Peuple asservi par des mercantis, quitte à passer alliance avec le Hollandais Volant lui-même – et sa fille si charmante aux éternels dix-sept ans… Du temps que les éditeurs jeunesse ne renâclaient pas sur l’imparfait du subjonctif, un Pierre Dubois pouvait encore se permettre de ces livres de haute graisse, richement emplumés de beaux vocables rares et de patafiolantes tournures, toutes voiles gonflées du grand vent d’une syntaxe aventureuse et savoureuse, et comme jaillie de l’un de ces grimoires dont l’elficologue bien connu fait son ordinaire d’expert en farfadets. Grand invocateur de lutins, de poulpiquets, de dracs et de tarasques, Pierre Dubois n’a pas son pareil pour convoquer sous vos yeux les innombrables créatures qui hantent les vastes greniers de la culture populaire. Ou plutôt, s’il a bien son pareil, il n’en a qu’un, et c’est René Hausman, autre Ardennais, autre vieil ogre débonnaire et compère de toujours puisque, au tournant des années 80, c’était déjà lui qui illustrait pour L’ami de poche (Casterman) les aventures de ce Capitaine Trèfle que les deux magiciens revisitent aujourd’hui sous forme de bande dessinée. De même que l’on imagine mal Jules Verne sans Riou et Bennett, on ne saurait envisager Dubois qu’enluminé de couleurs sourdes par les aquarelles hirsutes et boisées de son compaing en rêveries et bières d’abbaye. René Hausman, dont le talent unique fut récemment célébré par une très belle monographie[1], a une manière de trousser le korrigan qui – pour une fois – ne doit rien au grand ancêtre Arthur Rackham, mais tout à l’Ardenne, ses forêts, ses feux automnaux et ses sentiers, qu’il ne perd jamais tout à fait de vue, même quand il s’agit de prendre la mer. Si l’on a pu préférer, autrefois, les fastes un peu moins émaciés du Crépuscule des elfes et de La forteresse de pierre, on ne boudera cependant pas cette œuvre hivernale de vieux sangliers dont bien des marcassins devraient envier la jeunesse de cœur.

Yann Fastier

 

[1] Nathalie Troquette René Hausman : mémoires d’un pinceau. – Le Lombard, 2012.