Je vous parle d’un temps que les moins de… allez, cinquante ans ne peuvent pas connaître.

 

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Celui où, sur les cendres opiacées du psychédélisme sixties, naissait l’utopie d’un rock accueillant, ouvert sur les autres expressions musicales, y compris les plus savantes et, surtout, résolument a-commercial. Privilégiant les formes longues, les suites orchestrales bâties parfois comme de véritables symphonies occupant une face entière de l’album, le Prog-Rock se souciait comme d’une guigne des sacro-saintes trois minutes qui font les tubes au diamètre du dollar. En cinq ans, de 1972 à 1977, une floraison de groupes, d’une ambition musicale absolument inédite, réinventaient le rock de fond en comble et l’ouvraient sur des paysages infinis. King Crimson, Yes, Genesis, Pink Floyd, Van der Graaf Generator, Magma, Gong… autant de noms qui bâtirent la légende et égrenèrent un chapelet de chefs d’œuvres, autant de noms dont il est encore pourtant de bon ton de se gausser aujourd’hui. Car, et c’est le paradoxe du « Prog », par un mouvement de balancier dont le rock est coutumier, tout était terminé dès la fin des années 70 : gagné par la démesure et le kitsch, rattrapé par la crise et le formatage affairiste des maisons de disque, le rock progressif s’étouffe dans sa propre graisse, sous les ricanements renégats d’une presse rock qui ne jure plus que par le punk et la new wave. Un certain nombre de groupes se survivront encore des années, sous une forme tristement affadie qui, malheureusement, entretiendra le malentendu et trouvera son public, pour lequel The Wall est le meilleur album du Floyd ou Owner of a lonely heart le meilleur morceau de Yes. D’autres, moins connus, s’en iront voir plus loin, en inlassables découvreurs, et investiront le champ des musiques dites « nouvelles » et expérimentales qui, loin de toute nostalgie revivaliste, nourriront, de Radiohead à Tortoise ou GodspeedYou Black Emperor, bien d’autres courants contemporains d’un rock qui n’en finit pas de se réinventer. C’est tout le mérite de ce livre à la fois clair et synthétique que de mettre cette histoire en perspective, non seulement dans ses aspects proprement musicaux mais aussi dans toutes ses composantes externes, essentiellement économiques, comme l’ultime et flamboyante manifestation musicale d’une Europe d’avant crise où tout semblait encore possible, même l’impossible.

Yann Fastier