Comme son nom l'indique ou presque, Tom Gauld est un dessinateur rare et précieux.
Rare, tout d'abord, parce que sujet britannique. Trop occupé à boire de la bière en hurlant dans un stade, l'Anglois n'a guère le temps de s'adonner aux plaisirs frivoles du comic strip. Aussi, paradoxalement, la bande dessinée anglaise est-elle l'une des plus parcimonieuses au monde : quand, avec Hogarth et Rowlandson, le 9e art doit à la joyeuse Angleterre ses plus illustres précurseurs, leurs descendants se comptent sur les doigts d'une seule main du baron Empain. Injuste situation dont Tom Gauld, qui n'est d'ailleurs même pas Anglais mais Ecossais, suffirait à lui seul à nous consoler tant son art sait allier la modernité graphique la plus dépouillée au flegme le plus traditionnellement british. Parus dans The Guardian entre deux révélations d'Edward Snowden, ces gags en une planche font la part belle à une dérision discrètement absurde dont, depuis le retrait de Gary Larson, seul Liniers et ses Macanudos semblait encore entretenir la vacillante loupiote : ainsi, en 1592, William Shakespeare, s'adressant à ses comédiens, leur confiait avoir revu le texte de son Roméo, Juliette et Monsieur Flagada pour ne plus conserver que deux personnages... Très cultivé et référencé - au point de nécessiter un Petit dictionnaire gauldien fourni par l'éditeur à l'usage du rustre gaulois - l'humour en chapeau melon de Tom Gauld n'en fait pas moins mouche à presque chaque page, qu'il fasse réécrire Tintin par Samuel Beckett ou qu'il imagine des poupées à l'effigie des intellectuels de gauche français. Il n'est jusqu'à la répétition accidentelle d'un gag, dont l'éditeur s'excuse à la fin qui, sur le moment, ne passe pour une facétie supplémentaire d'un auteur décidément aussi habile à se caler la langue au creux de la joue qu'à faire virer son jetpack.
Yann Fastier