1977. Tristan, 13 ans, assiste à son premier concert rock.

 

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Pour le petit bourge parisien qu’il est, formé au classique, habitué aux récitals ouatés devant un public sage, le choc est violent, l’émotion intense, la révélation indubitable. Il se trouve des comparses et forme un groupe pour reproduire cette énergie vitale, cette furieuse étincelle. D’abord batteur, puis chanteur envoutant de La Monstrueuse Parade, il intègre vite les codes et les coutumes du milieu post-punk français, s’y fait un nom, des fans. Les 80’s, années fric, permettent à ceux qui se soumettent aux compromis d’atteindre la gloire en se fondant dans la culture mainstream, new wave sucrée, chanson française ; la pente vers la variétoche est glissante… La fidélité à ses engagements sera-t-elle soluble dans le succès ?

L’intérêt du livre de Vincent Raynaud ne réside pas dans l’originalité de l’histoire. Si le parcours de Tristan dessine un roman rock inédit dans la littérature hexagonale, ce n’est pas dans les péripéties qui émaillent le destin de la Monstrueuse Parade qu’il faut en chercher la singularité. Frénésie adolescente, formation du groupe par petites annonces, tensions grandissantes entre les membres aux ego en souffrance, signatures de contrats, scènes de concerts déjantés ou ratés, tournées épuisantes, déceptions, doutes, drogues, trahisons… tout cela est connu, et même si le ton est juste et la peinture réaliste, le sel de Toutes les planètes que nous croisons sont mortes ne se trouve pas sur le front couvert de sueur d’un batteur. Il réside dans le choix parfaitement assumé par l’auteur de faire de son roman une œuvre plus ambitieuse que la simple description de la vie et de la mort d’un groupe de rock.

Le fond, d’abord, s’éloigne d’autres romans sur le thème, qui s’attachent souvent à une période courte de la vie des personnages pour en souligner l’excessivité. Raynaud prend son temps et déroule son récit sur plus de quarante ans. Cela lui permet de tracer un portrait très fouillé de Tristan, son caractère principal, qui gagne en épaisseur à mesure qu’il vieillit. Est-il possible de conserver sa rage ? S’assagir est-il synonyme de renoncement ? Voilà les questions que pose l’auteur, donnant à son héros une dimension universelle et philosophique. Son parcours se dévide sur plusieurs décennies. Ses humeurs se confondent avec les variations que subit la musique. Tout change. Les guitares saturées laissent place aux synthés ; les supports évoluent ; les labels indé disparaissent ; les CD sont une poule aux œufs d’or, puis ne se vendent plus ; la dématérialisation secoue les pratiques et l’industrie musicale rame… Les politiciens changent (ou pas)… Tristan change. Il devient un père, un homme mûr, un vieux.

La forme, ensuite. Ecrit au présent, le récit mêle des éléments réels à la fiction. Vrais noms de groupes ou de maisons de disques, chansons connues rythmant le texte, se mélangent à l’aventure d’un groupe inventé de toutes pièces, conférant à l’ensemble un sentiment de proximité. Et surtout, l’absence de points dans la ponctuation, sans nuire à la fluidité de la narration, souligne cette sensation d’être au cœur de l’histoire, de survoler quarante ans de l’existence d’un homme dont rien ne peut empêcher l’inexorable défilement, avec l’idée prégnante que tout passe trop vite, qu’on a à peine le temps de respirer.

Toutes les planètes que nous croisons sont mortes, comme l’indique le titre, est un roman sur la désillusion, plus mélancolique que fougueux. Les paillettes se sont envolées aussi sûrement que les idéaux socialistes. La notoriété n’est qu’un miroir aux alouettes. Seul le réconfort d’avoir vécu une partie de ses rêves conjure l’amertume. « La vie est dure et puis on meurt », disent les Belges. La jeunesse ne dure pas, celle de Tristan n’a pas duré, pas plus que ne durera la vôtre. C’est terrible, c’est absurde. C’est bien ainsi.

Marianne Peyronnet