Il régnait en Europe, à l’été 1914, un climat particulier.

 

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Le soleil dispensait avec obstination une chaleur indolente contredisant la fébrilité des relations internationales. Jean-Marc Montjean, médecin tout juste diplômé, venait de prendre un poste d’assistant du Dr Gros, toubib à Sallies, petit bourg du pays basque. Ce fut dans le parc municipal, tandis qu’il rêvassait à l’ombre d’un arbre centenaire, qu’il rencontra Katya.

Katya allait bouleverser le cours de son existence. Belle, jeune, libre, cultivée, audacieuse, elle semblait ne vouloir respecter aucune règle que la bienséance dictait aux femmes de l’époque. Lors de cette première entrevue, elle fondit sur lui sans retenue, les cheveux au vent, transpirant de la course qu’elle venait de faire à bicyclette. Son frère Paul avait eu un accident, dans leur maison, à quelques kilomètres du village et il devait leur venir en aide. Sur place, l’accueil ne fut pas des plus chaleureux. Paul était l’exact miroir de sa sœur, son jumeau parfait, mais si leur ressemblance physique était stupéfiante, leur humeur divergeait en tous points. Si Katya était souriante, affable, Paul prit plaisir à se montrer désagréable, usant d’un esprit caustique pour accabler son hôte de moqueries cyniques. Le malotru ne dégouta pas Montjean de revenir. Le charme de Katya était envoutant, elle paraissait ravie de sa compagnie, le frère allait devoir supporter sa présence. Ce fut ainsi qu’il se rendit presque tous les jours de cet été là, dans leur domaine plutôt rustique, volontairement à l’écart du monde. Au fur et à mesure de ses visites, le secret entourant la famille s’imposa au jeune médecin. Pourquoi les Tréville avaient-ils fui Paris pour s’isoler dans ce trou ? Plus il se rapprochait de sa belle, plus le frère tentait de l’écarter. Jalousie ? Bienveillance ? La fin de l’été allait livrer la résolution de l’énigme dans le sang.

L’intérêt du roman de Trevanian ne réside pas dans un épilogue démêlant les dessous d’une affaire mystérieuse au terme d’un suspense insoutenable. Si la tension est parfaitement dosée et enfle par paliers, la conclusion est un peu à l’emporte-pièce, prévisible à quiconque a en tête de nombreuses histoires mettant en scène l’ambigüité des relations gémellaires. Sœurs de sang de Brian de Palma ou Faux-semblants de David Cronenberg n’en étant que deux exemples parmi tant d’autres. Rappelons néanmoins que L’été de Katya parut pour la première fois en  1983, cela expliquant peut-être cette sensation de déjà vu.

La structure, tout d’abord, est plus originale que l’intrigue. Montjean raconte son été avec Katya des années plus tard, en 1938. L’auteur choisit de faire revenir son personnage sur un épisode si douloureux de sa vie qu’il se jeta dans l’enfer des tranchées, alors qu’il aurait pu y échapper. Le ton du roman se trouve ainsi profondément marqué par les horreurs de la guerre et lui confère une triste mélancolie.

Ensuite, la finesse des présentations des différents caractères et des liens qui se nouent entre eux, changeants, tour à tour voluptueux ou rudes, témoigne d’une rare maîtrise et d’une belle empathie. Paul est à ce titre très réussi, dans son rôle de dandy, sorte d’Oscar Wilde désabusé.

Enfin, et surtout, les mots de Trevanian sont beaux. La langue est d’une précision d’orfèvre (merci à la traductrice), les phrases s’étirent sans jamais lasser.

Les descriptions sont rigoureuses, inventives, truculentes :

 « La laideur du Dr Gros était unique et complète, concernant aussi bien le général que le particulier : une laideur dont la globalité était plus grande que la somme des parties, une laideur à laquelle chaque trait apportait sa contribution, depuis le nez bulbeux et veiné jusqu’à la peau grêlée, semée de marbrures et de verrues, en passant par la bouche épaisse et flasque, les bajoues tremblantes, les oreilles noueuses, enfin le menton en galoche surplombé d’un front proéminent. Seuls ses yeux, vifs et pétillants, dans leur repli chassieux, échappaient à l’holocauste esthétique. »

ou sensibles : « Rien de significatif ne s’était passé entre nous – il y avait eu son profil doré pendant que je marchais à ses côtés dans le parc, les petites mèches de cheveux qui balayaient ses tempes, la façon dont ses yeux avaient cherché les miens avec un mélange  d’innocence et d’amusement, le frôlement accidentel de sa main et le contact de sa taille quand j’avais tenté maladroitement de l’aider à descendre du cabriolet -, bref rien de bien substantiel. Mais les particules dont l’amour est fait sont trop fines pour être subdivisées et analysées, tout comme la globalité d’un amour est trop vaste pour être perçue en un instant particulier et sous un seul angle du cœur. Loin de toute raison, loin de toute logique, et sans le savoir, je l’aimais. »

Marianne Peyronnet