Iegor Gran a de qui tenir.

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

Fils de l’écrivain dissident Andreï Siniavski, il arrive en France à l’âge de dix ans, y grandit puis y fait des études d’ingénieur et son apprentissage d’écrivain (une grosse quinzaine de livres, essentiellement chez POL). N’ayant toutefois jamais rompu avec sa Russie natale, il en reste un connaisseur averti, ce qui lui confère aujourd’hui toute autorité pour lui en mettre amicalement plein la gueule.

Z comme zombie, en effet, ne pointe pas seulement du doigt la très grande et très prudente passivité de l’opinion russe quant à l’« opération spéciale » en cours en Ukraine, mais aussi la responsabilité d’une bonne partie d’entre elle, d’autant mieux zombifiée par une propagande officielle outrancièrement nationaliste et revancharde qu’elle y trouve un terreau fertile. Les Russes, après tout, n’ont que ce qu’ils méritent : entre complexe de supériorité culturelle et paranoïa historique, ils persistent à entretenir des idées de grandeur que n’infirme en rien un quotidien plus que difficile. Constitutivement serviles et masochistes, ils n’admirent et ne respectent que la force, surtout quand elle s’exerce à leurs dépens. Fiers de leur résilience multiséculaire, ils détestent tout ce qui vit moins mal qu’eux, à commencer par cet Occident mou et décadent devant lequel ils bavent néanmoins de convoitise. Empêtrée dans ses contradictions, cette Sainte Russie « éternelle », c’est bien la Russie profonde, capable de sacrifier guerre après guerre ses propres enfants pour des chimères, intimement persuadée de son bon droit, incapable de se remettre en cause et d’apprendre de ses erreurs. C’est la Russie de Poutine : non pas victime de Poutine, mais celle qui l’a suscité et maintenu au pouvoir depuis plus de vingt ans. Pour combien de temps ? Car s’il dénonce cette Russie-là, Iegor Gran n’en annonce pas d’autre, assez lucide et forte en tout cas pour faire pièce à cette armée hagarde et chancelante mais programmée pour aller jusqu’au bout. Les têtes ont beau voler, éclater comme des fruits trop mûrs sous la plume qui sert de batte à l’écrivain, les zombies avancent, lentement mais sûrement, et toujours plus nombreux. Sous le ton féroce et réjouissant du pamphlet perce alors un certain désespoir. Car s’il a souvent la dent drôle et encore plus souvent dure, Iegor Gran l’a surtout sans illusions. Enivrée de ses propres mensonges et sourde à toute idée raisonnable, l’armée du Z ira jusqu’au bout. Elle perdra morceau après morceau, elle rampera sur le ventre, mais elle « sauvera le monde », quitte à n’en pas laisser pierre sur pierre, étonnée et sincèrement outrée qu’il ne se laisse pas faire, cet idiot. Bojé moï ! On n’est pas sortis du lac…

Yann Fastier