Tout est dit dans le titre, c’est bien pratique.
Tout est dit, sinon que la jeune fille en question est trisomique et que Marius, le narrateur, la trouve ainsi dans la rue, sans le moindre indice permettant de l’identifier, simplement porteuse d’un jeu de fiches d’apprentissage à l’usage des personnes handicapées mentales. N’ayant apparemment rien d’autre à faire, Marius la prend en charge et c’est le début d’une série de rencontres, aussi énigmatiques les unes que les autres : un activiste colleur d’affiches à l’échelle mondiale, un couple d’hôteliers juifs dont l’établissement dessine la carte des camps nazis, un antiquaire agoraphobe obsédé par le temps… et, surtout, un inquiétant photographe, dont l’insistance auprès de l’adolescente semble dissimuler de noirs desseins…
Disons-le d’emblée, il n’est peut-être pas indispensable de chercher à tout comprendre. Auteur protéiforme et définitivement inclassable, Gonçalo M. Tavares est une sorte de Docteur Moreau de la littérature, adepte de l’hybridation débridée des formes et des genres. Si le roman adopte ici l’allure d’un conte – l’allure au sens de rythme et d’apparence – il le met également sous hypnose : il pourrait tout aussi bien s’agir d’un long récit de rêve, de ces rêves où le sol est toujours susceptible de se dérober sous vos pieds. Il y est certainement question d’Histoire, de celle du XXe siècle, hanté par la Shoah… mais rien n’est jamais tout à fait sûr et c’est avec le sentiment de se tenir sans cesse au bord d’un sens crypté que l’on poursuit sa lecture fascinée, en quête d’une révélation qui ne vient pas, sauf peut-être à l’amateur de sudoku. Les autres se laisseront porter, de métaphore en métaphore, comme on peut se laisser porter par le cinéma d’un Guy Maddin ou bien celui des frères Quay, pour le seul plaisir du balancement et sans être bien certain de vouloir arriver quelque part. Après tout « (…) nous ne sommes vivants que pour cela : accepter ce qui advient et avancer ». Donc, avançons.
Yann Fastier