Toutes les guerres ont leurs salauds et leurs héros.

 

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Parmi ces derniers, certains sont bien connus et célébrés, parfois même à juste titre. D’autres ne sont jamais vraiment sortis de l’ombre, qui ne furent pas moins à l’origine d’actions mémorables. L’affaire du faux Soir en est une, et des plus réjouissantes. 1943 : Le Soir est l’un des principaux quotidien bruxellois, comme il l’est encore aujourd’hui. Passé aux mains des Allemands en 1940 après que la rédaction eût démissionné en bloc, il sert sans vergogne la propagande nazie et collaborationniste. Quelques journalistes clandestins affiliés à la Résistance ont alors une idée : publier, au nez et à la barbe de l’occupant, une édition parodique du Soir où rexistes, boches et collabos de tout poil se verront pastichés, moqués, ridiculisés sans pitié pour l’hilarité des lecteurs déshabitués d’une telle liberté de ton. L’opération est cependant délicate : même si le journal ne fait que deux grandes pages, il faut trouver de l’argent, du papier, une rotative, des ouvriers pour la faire tourner, des coursiers pour distribuer le faux journal juste avant le vrai, etc. En quelques semaines, Marc Aubrion dit Yvon, René Noël, dit « Jean », le peintre Léon Navez et son épouse, l’imprimeur Ferdinand Wellens réaliseront l’impossible, le journal s’arrachera en quelques heures, réchauffant l’espoir de milliers de Bruxellois tout en laissant la Gestapo sur les dents. Elle y restera jusqu’en février, où un hasard malheureux vient relancer l’enquête et permettre aux Nazis de remonter jusqu’aux responsables, dont plusieurs seront déportés et paieront cet éclat de rire de leur vie.

Bien connu en Belgique (du moins ose-t-on le croire), l’affaire l’est beaucoup moins en France, où l’on aime toujours un peu se regarder le nombril en matière d’Histoire. C’est là son principal mérite, mais il n’est pas à négliger. Certes, la forme reste assez sage, alternant reconstitutions d’époque, en noir et blanc et mise en scène du trio d’auteurs aux différentes étapes de leurs recherches. Mais un tel sujet se suffit pour ainsi dire à lui-même et l’histoire, bâtie comme un véritable thriller, avec ses rebondissements, ses hasards et ses coups durs, est assez rondement menée pour qu’on tremble sans s’ennuyer une seconde, au diapason de cette petite armée de l’Underwood dont on ne mesure pas toujours les risques insensés qu’elle sut prendre. Ajoutons à cela un fac-similé du vrai faux Soir et nous aurons peut-être la réponse à la fameuse question qui, aujourd’hui taraude encore tellement les politiques en cette période de crises multiples : Que demande le peuple ? La liberté d’en rire.

Yann Fastier