Premier roman enthousiasmant d’une série à paraître chez equinox, Les orphelins du mont Scarclaw plante le décor et dégaine un principe et un personnage récurrent qui pourraient bien devenir addictifs :
Scott King et son podcast Six Versions, suivi par de nombreux auditeurs, qui revient sur des affaires non classées et tente de démêler les méandres d’histoires complexes en donnant la parole à ceux qui les ont vécues. Dans ce volume initial, c’est le cas Tom Jeffries qui l’intéresse. En 1997, Tom, 15 ans, a disparu dans les montagnes écossaises lors d’un camp de vacances. Son cadavre a été retrouvé l’année suivante dans les marais lugubres de ce coin désertique. Qui l’a placé là ? A-t-il été victime d’un accident, d’un meurtre ? Vingt ans plus tard, King interroge tour à tour les protagonistes survivants. Le directeur de cette sorte de colonie un peu hippie, père d’une camarade de Tom ; les quatre ados constitutifs du groupe de potes qui séjournaient sur place pour l’été ; les différents suspects de l’époque dont l’idiot du village avec lequel les jeunes entretenaient une relation ambiguë… Coupures de presse, rapports de police et déclarations dressent un état des lieux mouvant, se modifiant à mesure des souvenirs de chacun. Le tableau qui se dessine par pointillés cache des zones plus sombres, dans les coins, tandis que les interviewés se livrent, se dévoilent peu à peu. La mosaïque est complexe, autant que l’adolescence. La découverte de la sexualité, de l’amour, des drogues et de l’alcool brouille la perception que le groupe en garde. L’excitation envers les plaisirs interdits, l’attrait pour le bizarre, les légendes et les monstres, moins forts maintenant qu’ils sont adultes, remettent en cause leur mémoire des événements. Matt Wesolowski balade son lecteur, l’entraîne sur de fausses pistes et parvient à maintenir le suspense jusqu’au bout. On s’amuse à se laisser berner. Certains personnages que l’on pensait aimables deviennent méprisables quand les autres exhument leur vraie nature. D’autres finissent par émouvoir, victimes de leur condition sociale et du jugement de leurs semblables, soumis au harcèlement ou à l’emprise de la meute. On apprend à les connaître, sans pour autant savoir réellement qui ils étaient, et surtout pas Tom, qui demeure aussi énigmatique que la bête qui hante la lande. C’est le procédé narratif qui fait ici tout le sel de ce roman, sorte de huis clos sur fond de grands espaces, construit pour plaire au plus grand nombre, populaire dans le sens noble du terme, réussi.
Marianne Peyronnet