Au cours de son enquête, le célèbre détective traverse toute l’histoire du surréalisme et se heurte à son vieil ennemi,

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 le docteur Quartz, à la tête d’un terrible complot où trempent, d’une façon ou d’une autre, les principaux acteurs du mouvement.

On connaît les accointances du Surréalisme avec le roman populaire. Entre les tentatives théâtrales de Breton et Aragon pour ressusciter Les Vampires, la Complainte de Fantômas de Robert Desnos ou les livres de collage de Max Ernst, les Surréalistes ne cessèrent de rendre hommage à une littérature, à un cinéma qu’ils sentaient porteurs d’une poésie intrinsèque, à l’état natif en quelque sorte, et préservés par leur indignité même des canons du raisonnable et du bon goût. Cultivant le sensationnel par nécessité commerciale, le roman populaire se tient sans cesse au bord de l’excès. Un pas de plus et la Beauté se fait convulsive, sous les yeux horrifiés de la Morale et de la Religion. Ce pas, les Surréalistes rêvaient de le lui faire franchir et, s’ils n’y arrivèrent jamais avec le succès public que leur interdisait un fonctionnement groupusculaire, il semblait tout naturel d’organiser la rencontre du Pape du Surréalisme avec l’un des plus fameux successeurs de Sherlock Holmes, né en 1886 et publié sans interruption jusque dans les années 60.

Il était encore plus naturel que David B. s’en chargeât. Co-fondateur de L’Association en 1990, David B. fut sans conteste l’un des principaux rénovateurs de la bande dessinée francophone après le « trou noir » des années 80 qui la vit en grand danger de se dissoudre dans la médiocrité. Il le fit à sa manière, désormais bien connue, entre des récits de rêves d’une remarquable prégnance (Le cheval blême, 1992) et une autobiographie dessinée qui fait d’ores et déjà figure de classique (L’ascension du haut-mal, 1996-2003). Si l’œuvre de David B. s’est depuis quantitativement étoffée, tant comme scénariste que comme auteur « complet », elle n’en reste pas moins très homogène, avec une semblable prédilection pour l’onirisme, les mythes et un certain fantastique littéraire dont il est passionnant de suivre la trace au fil de ses albums, de Marcel Schwob à Jacques Yonnet ou Pierre Mac Orlan… Il y a sans conteste un univers David B., une culture madréporique en continuelle expansion, fait de références innombrables, aux connexions multiples, souterraines parfois, explicites ailleurs, un millefeuille qui, sous la plume du dessinateur, acquiert une évidente unité, rendue visible par la puissante stylisation d’un graphisme qui n’a cessé de s’affiner au fil des ans, jusqu’à la maîtrise parfaite d’un art du noir et blanc magnifié par les hachures.

Car David B. reste en recherche constante, n’hésitant pas à s’aventurer hors de sa « zone de confort » pour s’intéresser à la géopolitique (Les meilleurs ennemis, avec Jean-Pierre Filiu, sur l’histoire des relations entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient), au grand banditisme (Les faux visages, une vie imaginaire du Gang des Postiches) ou à l’Histoire (Par les chemins noirs, sur l’éphémère république de Fiume). Mais s’en éloigne-t-il vraiment quand, d’une façon ou d’une autre, il s’agit encore d’insuffler de la magie dans l’Histoire, de la réduire (au sens presque alchimique du terme) à l’état de symbole, s’incarnant dans un dessin de plus en plus éloigné des codes et des conventions de la bande dessinée ?

A cet égard, Nick Carter et André Breton, tout comme d’ailleurs Le mort détective (L’association, 2019), marquent une nouvelle étape dans cet affranchissement, tout en opérant un retour aux sources. Un retour aux sources puisqu’on y retrouve toute l’imagerie de masques, de monstres et de morts qui hantaient déjà ses premiers livres. Un affranchissement car, dans les deux cas, il quitte ouvertement les territoires de la bande dessinée pour s’orienter vers une forme album dont Edward Gorey aura donné les meilleurs exemples à l’usage des grands, et dont il assume ouvertement l’influence. Le récit se déroule donc au rythme d’une illustration par page, pensée comme la couverture d’un fascicule imaginaire, d’un dime novel dont le contenu se trouverait résumé sous l’image. Les titres, superlatifs (« Les paillettes du Sphynx », « Le tabouret de corail »…), fonctionnent comme des déclencheurs d’imaginaire, à la manière des fameux Mystères de Harris Burdick de Chris Van Allsburg ou bien du Livre somnambule (Automne 67, 1994) où, à raison d’une grosse vingtaine de couvertures de romans imaginaires, David B. faisait déjà la part de sa fascination pour les catalogues d’éditeurs. Si le prétexte est transparent -- une histoire au pas de charge du Surréalisme – on peut en regretter le caractère artificiel et un quelque peu maladroit. Les images, très belles, se trouvent ainsi bridées par des légendes qui ne leur ajoutent pas grand-chose et ne sont tout simplement pas à la hauteur. Mais David B. reste passionnant jusque dans ses errements et, même imparfait, chacun de ses livres doit se lire comme une étape de sa quête parfois tâtonnante du Grand Œuvre qu’il ne saurait manquer d’atteindre, un jour ou l’autre. Si l’on est parfois – souvent ? – déçu par David B, on n’en est curieusement jamais dégoûté. On n’en dira pas autant de Joann Sfar.

Yann Fastier