S’il est très courant de voir un film adapté d’un roman, l’inverse reste assez inhabituel.

 

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Encore ne s’agit-il la plupart du temps que de la pâle novélisation d’un quelconque blockbuster par un auteur payé à la tâche et ne cherchant pas même à faire œuvre. Il est d’autant plus curieux qu’un auteur confirmé se livre à l’exercice et ce roman de Jean Meckert, paru en 1954 d’après le film éponyme d’André Cayatte demeure assez unique en son genre. On se souvient de l’argument du film en question : atteint d’un cancer en phase terminale, Maurice Vaudrémont, le riche directeur d’un laboratoire pharmaceutique, avait demandé à sa maîtresse, la belle Elsa Lundenstein, de lui épargner les longues souffrances de l’agonie. À bout d’arguments, celle-ci finit par céder, avant de se dénoncer. A-t-elle simplement accompli un geste humanitaire et son procès sera-t-il celui de l’euthanasie quand il y avait également 35 millions à la clé, ainsi que la direction de l’entreprise ? C’est à cette question que doivent répondre sept jurés tirés au sort, en leur âme et conscience et selon leur intime conviction. Mais qu’en est-il de celle-ci et qui pour prétendre à l’objectivité quand chacun, à tout moment, peut voir son jugement faussé par les circonstances et les influences extérieures ? En s’attachant successivement à chacun de ces sept personnages, Meckert, après Cayatte, donne à voir l’être humain dans toute sa complexité, avec ses qualités et ses défauts, ses faiblesses et les ressources insoupçonnées qu’il sait trouver en lui, parfois. Tout en restant parfaitement fidèle au scénario, il donne au lecteur un accès direct aux motivations des personnages qui, par définition, fait défaut au cinéma. Il éclaire ainsi le rôle de chacun d’eux, parfaitement typé en fonction des besoins du spectacle tragi-comique que constitue, peu ou prou, toute justice humaine. Évariste Malingré le paysan, Jean-Luc Flavier le catholique sincère, Mme Micoulin la veuve sentimentale, l’honnête M. Caudron, Félix le garçon de café, le colonel Andrieux et même l’odieux Gilbert de Montesson verront tour à tour leurs certitudes vaciller et leur décision tenir au seul fil des événements. Tout homme est faillible et tout homme a ses raisons, semble nous dire Meckert qui, s’il n’épargne personne – pas même l’accusée – ne juge non plus personne, conscient qu’on ne saurait une fois pour toutes sonder les reins et les cœurs. Passionnant de bout en bout, fort des nombreux rebondissements propres au film de procès, servi par des dialogues qui, pour n’être pas de Jean Meckert mais bien de Charles Spaak, n’en sont pas moins brillants, il prolonge le film, d’une certaine façon, en ouvrant des perspectives qui n’y sont qu’esquissées, au-delà de la simple dénonciation d’un système judiciaire défaillant.

Il reste néanmoins étrange que les éditions Joëlle Losfeld – contrairement à Gallimard en son temps – aient choisi de rester si discrètes sur le statut particulier de cette novélisation, semblant attribuer ainsi en totalité à l’auteur des Coups et du Boucher des Hurlus ce qui ne lui revient réellement qu’en partie. Il est parfois bon de rendre à César ce qui lui appartient, en toute bonne justice.

Yann Fastier