« C’était trop cette fois, le temps venait où les misérables, poussés à bout, feraient justice. » Zola, Germinal.

 

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C’est ici et maintenant. Il décline sa hargne au présent. Il a vingt-trois ans, a grandi dans le béton, mais qu’importe d’où il vient, il pourrait aussi bien être un enfant des plaines. On sait peu de choses de lui, pas même son nom. Le chômage de sa mère, quelques amours, quelques souvenirs, six mois de taule… ces bribes de sa vie, furtives, suffisent à l’incarner. Il est de la France qu’on écrase, qu’on met de côté. « Exilé dans son pays »,  il sait l’humiliation, le rejet. Il avance au rythme de sa colère qui enfle. Il va rendre les coups. La rage est son moteur, cette rage née d’un trop plein, comme un besoin vital de remplir  ses poumons d’air, et de flinguer celui qui vous maintenait la tête sous l’eau.

Le texte de Thomas Sands est court, il a comme une urgence à dire. Son personnage est au-delà des questionnements, des longs discours. Ses ennemis sont connus. Politiques cyniques, patrons voyous, DRH serviles, banquiers méprisants, experts en communication, journalistes laquais... eux utilisent une langue impénétrable, en font une arme contre les petits, la populace. Lui n’a plus les mots. « Condamné à errer sans langue, sans culture, il choisit l’instinct », l’action. Il a débordé. La violence est tout ce qui lui reste.

Alors, chaque mot compte et les phrases s’enchaînent, rapides, pied au plancher. Les Brigades parlaient trop, besoin de se justifier. Les Blocks agissent, mais il n’aime pas les meutes. Il a passé les caps, franchi les digues. Ses cibles sont identifiées, communes à tous ses frères, mais il les fait siennes. Il est déjà trop loin pour avoir une famille. Loup solitaire, sniper isolé. Victime. Bourreau.

Le livre de Sands, dense, exigeant, n’est pas un brûlot, pas un pamphlet. Un feu dans la plaine est beaucoup plus qu’un coup de gueule, un reportage. C’est un roman, noir, puissant, parce qu’il crée des images, inédites, dérangeantes, qu’il nous aspire dans sa fureur. Il excède le réel, son personnage vit, nous éprouve, à l’image d’un De Niro dans Taxi Driver. S’il dresse un état des lieux d’une France contemporaine qui va mal, le constat, passé par le prisme de l’art, est intense, radical. Dans dix ans, les petits barons seront oubliés, mais la douleur qu’on ressentira en lisant Un feu dans la plaine sera toujours brûlante.

Marianne Peyronnet