Petite personne délurée de 7 ou 8 ans, M. accompagne son père voyageur de commerce dans ses tournées, à l’insu de sa mère et au détriment de toute instruction académique.

 

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Représentant pour la maison Kramp (outillage en tout genre), D. lui enseigne les ficelles du métier, lui apprend à fumer et lui donne une commission sur les ventes, quand il ne la loue pas à ses collègues. Il faut dire que les longs regards tristes de la fillette ont de quoi attendrir le plus endurci des quincailliers, qui commande alors par wagons entiers. À la grande joie de la fillette, tout à fait à l’aise dans cette société d’hommes solitaires, mal embouchés et jamais à court d’histoires. Hélas, si enchantée soit-elle, toute parenthèse a une fin et celle-ci trouvera dramatiquement la sienne un beau jour où, raccompagnant E., un ami photographe, ils tombent littéralement sur un os. Car nous sommes dans le Chili de Pinochet, où il ne fait pas bon convoquer les fantômes et où « l’insecte de la destinée » prend souvent l’allure d’une balle. M. partira, grandira et, malgré la fin de l’innocence, n’en gardera pas moins toute sa tendresse pour son inconscient de père, cramponné non sans panache à un monde à jamais disparu.

Autrice reconnue de livres pour la jeunesse, María José Ferrada, née en 1977, signait avec Kramp son premier roman « pour adultes », largement récompensé à sa sortie en 2017 et traduit ici pour la première fois en français. Lacune qu’on saura infiniment gré à Quidam d’avoir comblée, tant ce court roman, très zaziesque en son commencement, parvient en définitive à vous chavirer le cœur, entre humour et mélancolie. Certains, dit-on, n’aiment pas ça, qui n’y voient que passe-passe et boniment, une atteinte à leur sainte liberté de jugement. Nous autres, braves et naïfs quincailliers, nous laisserons bien volontiers fasciner par ces pupilles enfantines où tourne la vie même en sa nature vraie : sombre et minuscule.

Yann Fastier