Une citation de Cioran en exergue donne le ton, le court roman d’Espedite ne lorgne pas du côté de la gaudriole.

 

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Et pour cause, il commence par la description, au présent, du suicide par arme à feu de Kenza, et se poursuit par le récit de sa vie d’après, après son sauvetage par les pompiers dont un certain Dalton, et sa réintégration dans une existence « normale » maintenant qu’elle est défigurée. Aide-soignante de nuit dans une maison de retraite, elle tient le coup grâce aux substances illicites que Dalton se procure à l’hôpital et revend, drogues qui commencent à rendre accro toute la petite ville morne de province où se déroule l’intrigue, bourgeois compris.

Le roman pourrait être insoutenable de dureté. Il n’en est rien. Le style de l’auteur y est pour beaucoup. La précision du vocabulaire, les termes concis quand il s’agit de dépeindre les personnages, leurs traits physiques collant au mieux à leur mentalité et leurs attitudes, le rythme soutenu des phrases et l’enchaînement rapide des chapitres, contribuent à rendre la lecture prenante.

Mais c’est surtout par la distance qu’Espedite prend avec les protagonistes de son histoire qu’il rend cette dernière acceptable, voire jouissive. Entre une Kenza qui maltraite et filme les pensionnaires de son EHPAD, un Dalton qui est pompier pour l’argent et les avantages qu’il peut tirer de son statut, des notables tous plus pourris les uns que les autres, le roman tourne à la farce, au grotesque et empêche le lecteur d’éprouver des émotions trop perturbantes. Les scènes qui pourraient être difficiles, comme lorsque Kenza se mutile le visage pour accentuer ses cicatrices, sont contrebalancées, comme allégées, par le fait qu’elle n’éprouve rien, ni douleur, ni envie. Aucun personnage ne mérite d’empathie, tant ils sont lâches, avides, égocentrés, détachés du monde, aliénés des sentiments. Tous sont comme déjà morts, insensibles, indignes d’inspirer du malaise. L’auteur se place, les place au-delà, développant dans l’accumulation des horreurs qu’ils subissent et font subir une forme d’humour noir. Si le lecteur se souciait d’eux, il serait touché. Comme il ne ressent rien, il se moque de ce qui leur arrive, pire il s’en réjouit et termine l’expérience dans un grand éclat de rire (jaune).

Marianne Peyronnet