On aura eu beau dire, on aura eu beau faire, on aura eu beau défiler avec les pacifistes, s’asseoir avec les non-violents, 

 

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conspuer les marchands d’armes et prêcher l’anarchie, le prestige de l’uniforme opère toujours autant. Il n’y a pas à chipoter : le dolman vous pose un homme, le manteau de cavalerie vous a quand même une autre allure que le jogging et si, comme le voulait Lasalle « tout hussard qui n’est pas mort à trente ans est un jean-foutre » encore faut-il que ce ne soit pas en pantoufles, chemise et bonnet de nuit. Bref, on l’aura compris, quiconque a joué jadis aux petits soldats en reste irrémédiablement marqué par un certain goût de la chose militaire ou, du moins, de son apparat. Nul militarisme là-dedans : de même qu’il est permis d’aimer les églises sans être dévot, on peut goûter le brandebourg sans rêver d’en découdre. Qui aime l’uniforme et les armes n’aime pas forcément l’armée mais avant tout son enfance, sachant, comme chantait Georges Brassens que « Les seuls généraux qu’on doit suivre aux talons / Ce sont les généraux des p’tits soldats de plomb ». Il est plusieurs manières d’alimenter cette nostalgie. Quand on est riche, on peut bien sûr collectionner lesdits soldats (à ce titre on ne saurait trop recommander le Musée Militaire de Porto et sa fabuleuse collection de 16 000 sujets). Si l’on est un peu fêlé, on peut aussi bien s’affilier à quelque association de reconstitueurs et passer ses ouiquennes à rejouer la bataille de Wagram (voir le très bon Demain dès l’aube de Denis Dercourt, avec Jérémie Renier). Si l’on est dans la moyenne, on se contentera de lire et relire ces classiques des classiques de l’uniformologie que sont devenus au fil du temps les recueils des Funcken après avoir nourri les rêveries martiales de générations d’écoliers. Auteurs de bande dessinée très actifs dans les années 50, où l’on retrouvait fréquemment leur double signature dans Tintin et Spirou, Liliane et Fred Funcken n’auront cependant pas laissé de trace indélébile dans l’histoire du 9e art. Leur apport à l’art de l’illustration reste en revanche considérable. De fait, qu’aime-t-on finalement dans ces planches alignant sagement leurs lots d’élégants briscards, sinon précisément leur dessin, ces gouaches à la fois réalistes et suffisamment enlevées pour ne pas sembler froides. Qu’on prenne n’importe quel ouvrage plus récent sur le sujet et particulièrement ceux qui font appel à l’informatique, on sera déçu. Car ce n’est pas tant la précision de l’uniforme qui plaît que la représentation de l’uniforme et sa mise en scène dans l’espace virtuel de nos rêveries héroïques. Insérées parfois dans un décor minimal, le plus souvent sur fond blanc, ces silhouettes ont avant tout leur place dans le grand catalogue du désir enfantin, ce rêve infini du collectionneur jamais tout à fait pubère. Bien plus que du document, elles relèvent en réalité de la miniature, et donc d’une fascination pour les microcosmes et les totalités encloses, au même titre que les maquettes ferroviaires et les albums de timbres. Elles ne renvoient pas tant à l’Histoire, ce prétexte, qu’au désir bien innocent d’une complétude ordonnée. Le lecteur, au fond, se fout bien d’une exactitude documentaire qu’il n’a ni les moyens ni l’envie de vérifier. Ce qui lui importe, c’est le potentiel de rêverie que recèle l’idée même de catalogue. Que ce catalogue soit en outre un petit chef d’œuvre graphique, et ce potentiel s’en trouve décuplé, faisant de cette petite dizaine de volumes, quelle que soit par ailleurs leur actualité, une arme de régression jouissive dont nul général en culottes courtes ne saurait méconnaître le prix.

Yann Fastier