Quand elle ne catalogue pas les livres avec la frénésie que connaissent nos collègues du réseau des bibliothèques de la Haute-Vienne, Marianne Peyronnet en écrit.

 

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Après Vergne Kévin (Fleur sauvage, 2019) et Bruit noir (On verra bien, 2022 – recueil de ses entretiens avec divers acteurs du Noir pour le magazine New Noise), voilà qu’elle nous maçonne un Mur hérissé de tessons dont les coupures ne sont pas près de se fermer.

Soit, donc, un avenir pas tout à fait aussi radieux que les utopies nous le promettaient : à l’issue de divers aléas de l’Histoire, le monde se veut désormais matriarcal et apaisé. Matriarchie en toc, évidemment, où la Femme, idéalisée sur le papier, n’est dans les faits qu’une poule pondeuse au service d’un pouvoir totalitaire et parfaitement désincarné, sinon dans les mots d’une novlangue martelée à l’envi selon les meilleurs préceptes orwelliens. Dans cet enfer, Alb 3 est heureux. Parfait enfant de la Matrie, voué depuis son plus jeune âge à faire un bon petit soldat, il vient d’être nommé sur le Mur à titre de Sentinelle. À 16 ans, avec son ami Syl, il accède à l’honneur suprême, auquel seul les meilleurs ont droit : défendre la Matrie contre les Barbares massés de l’autre côté du Mur et toujours prêts à déferler. Autant dire qu’il sera déçu : le mur n’est guère qu’une palissade améliorée, la troupe est aussi démotivée que clairsemée et même le barbare se fait plutôt rare (et passablement pouilleux). Le meilleur des mondes se change alors en désert des Tartares où, l’ennui faisant son œuvre, le mur, le vrai, finit par se fissurer. Alb 3 doute et ça fait mal. Déprogrammer un cerveau prend du temps et nécessite des efforts que le jeune homme n’est pas toujours capable de fournir. La renaissance se fera donc aux forceps en un rude face à face avec l’Autre, en l’occurrence une toute jeune Barbare au miroir de laquelle il finira, après bien des difficultés, par se voir enfin tel qu’il est : un être humain face à son semblable.

Les références sont là, bien entendu : on songe au mur d’Hadrien, à son double fantasmé de Game of thrones et, plus près de nous, à ces innombrables murs, plus ou moins hauts, plus ou moins barbelés, divisant un peu partout la planète en Eux et en Nous. On pense bien sûr à La Servante écarlate, suivie de toutes les dystopies à la mode et d’un tas d’autres choses qui n’empêchent pourtant pas ce petit mur-là de bien se tenir debout tout seul comme un grand. La littérature commence paraît-il où s’arrêtent nos certitudes et le roman ne serait au fond rien d’autre que cette possibilité qui nous est offerte de voir le monde autrement, de mieux le comprendre en déplaçant les points de vue. En renonçant volontairement au romantisme révolutionnaire au profit du quotidien décervelé d’un pion lambda ; en préférant le huis-clos étouffant des postes de garde au grand air des épopées libératrices ; en enfermant le lecteur, enfin, dans la tête trop bien rangée de son pitoyable héros, auquel on botterait volontiers le cul s’il ne possédait à fond l’art du close combat, Marianne Peyronnet nous déstabilise une fois de plus avec beaucoup d’efficacité et décentre si bien notre regard qu’on ne verra plus jamais les garde-frontières nord-coréens de la même façon.

En cela, elle a bien mérité de la Littérature et gagné le droit d’écrire la suite.

Yann Fastier