Gio, un jeune Gitan, n’est plus tout à fait le même lorsqu’il sort de l’hôpital où il est resté longtemps entre la vie et la mort après avoir été poignardé.

 

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Marqué jusqu’à l’âme, il est définitivement passé du côté de ces fêlés qui, dit-on, laissent passer la lumière. La nuit, surtout, l’esprit s’échappe et vole avec les chouettes. Autant dire que les vendettas familiales ne l’intéressent plus tellement, sinon comme un passage obligé qui, sa propre famille une fois traîtreusement décimée par l’ennemi, le voit contraint de s’enfuir en compagnie de Papillon, un gamin muet aux précoces instincts de tueur, et de Dolorès, jeune corps à tout faire qu’il aimera comme une sœur. Leur course les amène à se placer sous la protection ambiguë de Micek, caïd manouche dont l’amitié se monnaye comme toute chose en ce bas monde. Pour l’avoir déçu, Gio devra fuir à nouveau, seul cette fois, orphelin d’une terre qu’il n’aspire plus qu’à quitter.

Ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de ce nouveau roman de Dimitri Rouchon-Borie – qu’on attendait au tournant après son très remarqué Démon de la colline aux loups c’est son absence totale de calcul, l’absolue sincérité d’une histoire qu’on devine bien plus rêvée que pensée, à l’exact opposé d’innombrables produits calibrés d’avance dont l’auteur-scénariste semble toujours plus ou moins attendre un coup de fil de Netflix. À l’évidence, Dimitri Rouchon-Borie nourrit d’autres espoirs. Ce qui ne l’empêche pas, lui non plus, de prendre ses rêves pour la réalité ou, plutôt, de ne pas attendre Hollywood pour leur donner corps à sa façon. Pour cela, comme dans les contes, il dispose d’un pouvoir magique : une langue toute neuve, mirifique et recousue d’oripeaux somptueux, comme une sorte de poésie première esquissée dans l’incertitude de l’aube, une langue qui, invitant Homère sur la Zone, vous happe et vous mène où elle veut : « Voilà venu le temps qu’on parlemente et qu’on fixe la dette. Vous avez ici le crédit d’une vie. Et si vous étiez pas des cousins, peut-être, mais je dis bien peut-être, qu’on vous aurait déjà brûlés vifs dans les grottes qui servent de maisons à vos manières préhistoriques. Regardez bien mon fils qui est revenu vivant de la mort où vous l’avez jeté. Regardez. La pluie qui nous tombe sur la gueule, c’est sa tristesse à lui, c’est la malédiction que vous lui avez glissée dans le crâne. Regarde Michal comme elle est grasse la pluie. Et toi, Tino, sniffe, nom de Dieu, sniffe si ça sent pas les enfers. » On n’avait pas connu un tel choc depuis La BM du Seigneur et Mange tes morts (tu ne diras point), du cinéaste Jean-Charles Hue.

Et, malgré tout, la dernière partie déçoit, qui semble hésiter sur la direction à prendre, entre déjà-vu (la rédemption par la boxe – abandonnée sitôt esquissée –, l’amitié toute paternelle du vieil entraîneur, la femme éconduite devenant ipso facto la pire ennemie du héros…) et tropisme américain mal assumé auquel on ne croit d’ailleurs pas davantage que dans Le Démon de la colline aux loups. L’errance de Gio devient alors celle de l’auteur qui, manifestement, ne sait plus trop quoi faire de ce grand corps malade, du moins jusqu’à l’envol final qui, dans sa belle et tragique évidence, apparaît comme un soulagement pour le personnage aussi bien que pour le lecteur.

Mais, après tout, qui voyage en tapis volant doit s’attendre à des trous d’air. Paradoxalement, l’imperfection même de ce Chien des étoiles lui confère une sorte de fragilité qui le préserve de toute rouerie et nous le rend plus proche, comme une dent de travers, une cicatrice ajoutent au charme de ceux qu’on aime. Sans cette dernière partie ratée, le roman eût peut-être été trop beau pour le croire. Là, malgré la boiterie, grâce à elle, peut-être et, surtout, par la magie d’une langue si belle qu’aucune défaite ne saurait l’atteindre, on y croit. Dur comme fer.

Yann Fastier