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Ce n’est pas un vaccin mais l’Atlas des Régions Naturelles, le projet un peu fou des photographes Eric Tabuchi et Nelly Monnier qui, découpant la France en « régions naturelles », ont entrepris de lui tirer le portrait morceau par morceau au fil d’une aventure qui durera ce qu’elle durera mais dont les quatre volumes parus à ce jour témoignent d’ores et déjà d’un bel acharnement.

À la suite de leurs prédécesseurs de la Mission héliographique de 1851 et de la grande enquête de la DATAR de 1984, Tabuchi et Monnier se sont donc lancés dans leur propre inventaire, sachant bien sûr qu’il leur serait impossible de tout photographier et qu’il leur faudrait faire des choix. Là où les premiers avaient pour consigne de répertorier les monuments dans une optique patrimoniale, et où les seconds privilégiaient la démultiplication des points de vue individuels, ils ont opté pour l’habitat.

Selon une approche rappelant à la fois les Becher (ce couple d’artistes allemands photographiant raffineries, silos et autres bâtiments industriels avec une précision quasi scientifique), la photographie vernaculaire américaine (Walker Evans, Edward Ruscha et ses stations-services…) et Raymond Depardon sillonnant la France en camping-car, ils observent la façon dont les édifices de toute sorte et de tout usage s’inscrivent dans le paysage de chaque région traversée. Photographiés de manière souvent frontale, immeubles, maisons, usines, églises et baraques à frites se détachent sur un ciel presque toujours uniformément gris, sans autre présence humaine que, de temps à autre, une simple silhouette destinée à donner l’échelle. Ce refus de toute séduction peut donner à la longue une impression de froideur qui préserve le projet de toute tentation touristique : on est loin, très loin de « la France pittoresque » et des « plus beaux villages de France » ! S’ils ne la recherchent pas à tout prix, Tabuchi et Monnier accueillent la laideur comme une composante du paysage français qu’il serait vain de vouloir dissimuler. A contrario, et non sans ironie, les châteaux de la Loire, parangons s’il en est d’une France muséifiée, n’y sont vus que de loin – ou sous forme de maquette – dans une sorte d’inversion des hiérarchies qui prétend donner sa chance à ce qui n’est habituellement pas digne d’être photographié et, donc, vu. Ainsi, non sans humour, les sections géographiques sont-elle entrecoupées de séries thématiques : édifices couverts de lierre jusqu’à l’effacement, piscines verticales… autant d’images « accidentelles » que la répétition donne à voir sous un autre angle, éclairant une démarche où, sous le détachement apparent de l’objectif, prédomine une véritable tendresse pour notre vieux pays de France.

Yann Fastier