L’Albanie… Une enclave communiste maintenue dans un isolement absolu, d’où ne filtrait pas plus d’infos que de Corée du nord…

 

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Une des dernières dictatures stalinistes sous l’autorité d’Enver Hoxha, qui y maintint son pouvoir répressif et paranoïaque jusqu’à sa mort en 85… La chute du régime en 91, l’ouverture sur l’extérieur suivie de l’émigration de milliers de candidats au départ… Je savais peu de choses sur l’Albanie, que ce soit sur la transition post-coco ou la façon dont s’en sortent les Albanais aujourd’hui. Si le propos de Danu Danquigny n’est pas de donner un cours magistral sur l’état de cette république des Balkans, évidemment, ni de faire ingurgiter son histoire en accéléré, Les aigles endormis, en plus de proposer une intrigue bien menée, a l’avantage d’éclairer notre lanterne sur un sujet fort peu traité.

Arben revient sur ses terres natales après vingt ans d’exil en France, où il a élevé ses deux enfants. Il retourne au pays des aigles pour se venger de ceux qui ont tué Rina, sa femme, avec laquelle il rêvait de partir à l’étranger pour un avenir meilleur. Le roman est fait d’allers retours entre présent et passé, et on suit Arben à différentes périodes de sa vie comme autant d’étapes clés de l’histoire albanaise contemporaine. L’idée est habile, le récit prenant, le constat glacial. Arben a grandi sous la dictature ; la police surveillait les faits et gestes de tous. Ils étaient si nombreux à finir dans les geôles du pouvoir que la terreur écrasait les espoirs. Alors, lorsque la tyrannie cesse, Arben croit légitimement qu’avec l’avènement de la démocratie soufflerait le vent de la liberté qui disperserait les mauvais souvenirs. Mais il perd son emploi. Les grandes «restructurations économiques » censées muter la société en modèle de capitalisme triomphant laissent plus d’un sur le carreau. Avec l’accès à la propriété et la liberté d’entreprendre, l’Albanie découvre leurs corollaires, les quatre cavaliers de l’apocalypse à venir : la compétition, le chômage, la précarité et la prédation. Corruption, spéculation pyramidale font rapidement s’effondrer l’économie désormais ouverte, et les petits en font les frais. Ils sont incapables de comprendre le nouveau monde, passés en quelques années d’une économie autarcique et autosuffisante à une dépendance maladive à cet extérieur dont ils ignoraient tout, ils ne sont plus écrasés par la botte d’un despote mais dépecés vivants par les griffes capitalistes. Arben n’est pas dupe : Le marché ouvert était une farce, et nous, les dindons. Le régime nous avait vendu le rêve d’une grande Albanie héroïque, d’un paradis communautaire prêt à sauver l’humanité d’un impérialisme au bord du gouffre. Nous nous étions réveillés dans le tiers-monde. Et l’Occident se goinfrait de notre misère. Il sait qu’il doit partir, vers cet ailleurs qui les méprise, Italie, Grèce ou France. Mais avant, il lui faut amasser assez d’argent pour vivre décemment, par tous les moyens, quitte à perdre son âme.

A travers les errements d’Arben, sa violence et sa rage, Danquigny parvient à faire ressentir le désarroi d’un peuple à travers la chute d’un seul de ses membres, à faire toucher, un peu, cette nation qu’il incarne, si proche de l’Europe, si loin pourtant, et signe avec Les aigles endormis un très beau roman sur la désillusion.

Marianne Peyronnet