À l’heure où Ridley Scott se prend pour Napoléon, on préférera nettement rester chez soi pour lire ou relire les Sharpe de Bernard Cornwell qui, contrairement à Joaquin Phoenix, n’ont pas pris une ride.

 

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Six volumes parus en français sur les vingt-et-un que compte la série originale, c’est maigre mais c’est assez pour faire connaissance avec le bouillant fusilier du Duc de Wellington. Celui-ci, qu’on ne surnomme pas pour rien le Duc de Fer, n’a pas encore fait plier l’Empereur à Waterloo. Nous sommes en 1812, pour l’heure il l’affronte en Espagne, dont la résistance farouche à l’occupation française devait marquer le début de la fin des ambitions du petit caporal. Que les choses soient claires : l’ennemi est ici le Français, ce maudit bouffeur de grenouilles ! À défaut de batraciens le lecteur hexagonal devra donc avaler quelques couleuvres mais, bien assaisonnées par un maître du roman historique, ça passe tout seul. On en redemande même, tant Bernard Cornwell a l’art d’accrocher illico le lecteur au bout de sa baïonnette pour le déposer 350 pages plus loin sans lui laisser un instant de répit. Et sans jamais trahir l’Histoire ! Car, sachez-le, tout ici est parfaitement documenté et l’on apprend plein de choses parfois surprenantes sur la façon dont les armées s’affrontaient en ce début XIXe où la guerre avait déjà du plomb dans la dentelle. Nombre des aventures de Sharpe prennent pour cadre des batailles historiques, restituées sans lourdeur mais jusqu’au moindre bouton de guêtre et, s’il n’est bien sûr pas question qu’il les gagne à lui tout seul, il n’est souvent pas pour rien dans la déconfiture de l’ennemi. Sous ce rapport, il a du reste fort à faire dans son propre camp : officier sorti du rang, promu pour sa bravoure – fait rarissime dans une armée anglaise profondément inégalitaire – Sharpe se trouve plus souvent qu’à son tour en butte à l’hostilité de quelque hobereau auquel il devra rendre le sens des réalités à défaut de celui des hiérarchies sociales. Certes, Sharpe n’est pas un homme du monde. C’est un soldat avant tout, un guerrier, aimé et respecté de ses hommes, ne serait-ce que parce qu’il sait leur parler et qu’il se montre économe de leurs vies. D’une témérité rare, jamais à cours d’un stratagème, il se montre mal à l’aise en société, n’aime guère monter à cheval et préfère nettement la compagnie des dames. D’un tempérament plus âpre qu’un Bolitho – le marin d’Alexander Kent dont il est en quelque sorte la version terrestre – Sharpe sait toutefois s’entourer. Une poignée d’amis fidèles est là pour l’épauler en toute circonstance, au premier rang desquels le sergent Harper, second rôle parfait auquel on s’attache immédiatement pour sa tendresse et son humour, ou bien le commandant Hogan, chef du renseignement de Wellington et véritable fée-marraine de la Cendrillon que reste peu ou prou le vaillant officier.

Six volumes donc, et pas d’autres traductions en vue… On en pleurerait. Les plus volontaires se remettront à l’anglais. Les autres se rabattront sur la série-télé : seize épisodes au casting impeccable, où Sean Bean (oui oui, le Ned Stark de Game of Thrones) incarne avec fougue et l’accent du Yorkshire un Sharpe plus vrai que nature.

Yann Fastier