Pas de littérature ! L’injonction de Marcel Duhamel à l’encontre de Gringoire Centon n’admet pas de contradiction.

 

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C’est un ordre du big boss, directeur de la Série Noire, auquel en tant que traducteur il convient de se plier. Il signifie pas de blablas, pas de grandes phrases, pas d’explications. Des faits, du brut de décoffrage. Il faut faire court, que le lecteur amateur d’intrigues simples s’y retrouve. Gringoire s’y plie, d’autant qu’à l’anglais il entrave que dalle. Tout au plus réécrit-il, dans un argot parigot du plus bel effet, les traductions élaborées par sa petite femme. C’est pour ça qu’il passe le plus de temps possible dans les troquets minables, peuplés de caïds de seconde, qui portent le verbe haut et le flingue sous le veston. Pour enrichir son vocabulaire. Mais à fréquenter les gangsters, le risque est grand de se retrouver dans la mouise.

Pastiche réjouissant des romans noirs des années 50, Pas de littérature ! expose les subtilités de notre langue, dans une mise en perspective qui a de quoi réjouir les amateurs du genre et instruire les autres. Réputée pour avoir mis au goût des Français les meilleurs auteurs américains de l’après-guerre, la Série Noire a longtemps été critiquée pour ses transpositions hasardeuses des textes, un caviardage en règle des romans qui ne rentraient pas dans les 256 pages imposées. Rutès s’empare de ce pan fameux de notre histoire littéraire pour livrer un petit bijou d’humour noir, dont même les spécialistes sont certains de rater nombres de références, mais que même le néophyte en la matière appréciera.

Comment résister aux différentes versions des traductions livrées à la va-vite par un Gringoire qui finit au beau milieu d’une pétaudière digne du plus tordu des romans de gare ? Comment ne pas suivre en courant ce récit plein de détectives, de malfrats et d’aguichantes poulettes, dont la parodie s’approche plus d’un Fantasia chez les ploucs pour le côté déjanté et loufoque que Du démon dans ma peau au réalisme désespéré ? Ici, les truands dégoisent sur François Villon et se rêvent héros de romans populaires, sans pour autant se prendre la tête entre deux mains. Rutès ne s’embarrasse pas de profondeur psychologique à leur encontre et c’est heureux. Libre au lecteur de se laisser porter, et s’il le veut, aller plus loin, en traquant les sous-entendus sur l’essence de la littérature. Grande ou pas !

Marianne Peyronnet