Alors que se multiplient les projets d’enfouissement de déchets nucléaires, se pose, instante, la question de la transmission aux générations futures de la mémoire de ces sites.
Comment signaler le danger de ces installations à nos lointains descendants, alors même que nos langues auront disparu ? Ne conviendrait-il pas de fonder d’ores et déjà un Ordre, à l’image de ces moines qui, à l’abri de leurs cloîtres, parvinrent à transmettre une grande partie des savoirs anciens ? Le grand enfouissement fait le récit de cette fondation, des prémices à la dispersion, par les cinq « Premiers » que furent Petra l’Intendante, Betty Wang la Medica, Anatole le Chercheur, Kurt le Machiniste et Céline la Lettrée. Légende non plus dorée mais carrément phosphorescente, leur vita se mêle de récits prospectifs explorant à tâtons un avenir tour à tour dystopique ou radieux, selon l’humeur du narrateur.
À présent qu’une bonne partie des thèmes classiques de la SF se trouve rattrapée par la réalité, il est de plus en plus courant de la voir investir la littérature générale, toute nue, pour ainsi dire, en tout cas libérée des contraintes propres au roman d’aventure qui l’a vue naître. Ainsi peut-elle à loisir élire pour carburant une certaine mélancolie qui, depuis toujours, lui sied bien mieux que le propergol. C’est encore le cas ici, où Annette Hug dispose ses pièces sur l’échiquier du temps long avec le prophétisme dépassionné d’un Don DeLillo et toute la calme détermination d’un moine de Shaolin. Nulle autre mystique n’imprègne cependant ce roman que celle du dévouement, définitif et complet, à la tâche que se sont assignés les personnages. Entièrement dédié à « préserver la paix des roches », l’Ordre est laïc et si les membres n’en sont pas recrutés sans soin, ce sera sur la base d’une seule question, qui suffit à résumer le livre : « Veux-tu mener une vie paisible tout en sauvant le monde ? »
Où faut-il signer ?
Yann Fastier