Il n’est jamais trop tard pour s’offrir une douceur.

 

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Bien sûr, de l’eau a coulé sous les ponts depuis 2022. Les titres se sont succédés sur les tables des libraires, l’un chassant l’autre au fil des rentrées, chacun plus indispensable que l’autre, aussitôt lu, aussitôt oublié… Bien sûr, on craint un peu d’enfoncer une porte ouverte, sachant que l’album a remporté le Fauve Révélation au dernier FIBD d’Angoulême et qu’il n’est donc un secret pour personne… Mais c’est comme ça : à l’instar du vin et du fromage, certains livres gagnent à mûrir un peu pour s’affiner et se dégustent au bon moment, au calme, loin du bavardage.

Une rainette en automne est de ceux-là, il prend son temps et ça tombe bien, puisqu’il y est justement question de temps. C’est l’automne. Une rainette de l’année, disciple d’une respectable grenouille d’au moins quatre ans, croise le chemin de deux crapauds vagabonds. Avec eux, elle ira vers la mer et vers l’hiver, en reviendra plus grande et plus forte d’avoir pu voir le monde.

Dessinatrice émérite et très tôt distinguée1, la Suédoise Linnea Sterte ancre son épopée minuscule dans la tradition japonaise des emakimono, ces rouleaux peints médiévaux dont les récits souvent animaliers sont pour une bonne part à l’origine de la manga contemporaine2. L’histoire se déroule donc, littéralement, au fil des pages à l’italienne d’un album hors les cases où les vieilles lunes de la BD n’ont plus cours. Le dessin, japonisant jusqu’au bout de ses pattes palmées tout en étant plein de fraîcheur et d’idées originales, y prend ses aises en des compositions raffinées où le blanc compte autant que le très beau gris bleu des images. On pense évidemment, côté jeunesse, au grand Kazuo Iwamura, non seulement pour l’intimisme douillet de La Famille Souris mais aussi pour ses Réflexions d’une grenouille, nourries d’un même questionnement existentiel que notre naïve petite rainette. Linnea Sterte, malgré son jeune âge, n’a pas à rougir de la comparaison et rejoint avec mention l’étagère pas trop encombrée des fictions contemplatives réussies, où l’attendent déjà Nylso et son Jérôme d’Alphagraf.

Yann Fastier

1In-humus, son livre précédent, a été nominé aux Eisner Awards en 2018.

2Le japonais n’ayant pas de genre, il était loisible au français de mettre le mot au féminin, comme la terminale -a l’y incitait. C’est ce que Frédéric Boilet, en son temps, proposait de faire. Ça n’a pas pris. C’est bien dommage.