Frank Dominio n’est pas ce qu’on appelle un joyeux drille.

 

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Misanthrope, asocial, plutôt lâche et résolument terne, il végète dans une entreprise qu’il déteste, « porc » parmi les porcs qui la dirigent. Jusqu’au jour où il a une idée qui, pressent-il, pourrait faire basculer son destin, celui de la boîte et, qui sait ? la civilisation tout entière. Renvoyé dans les cordes avec dédain, il est bientôt placardisé puis poussé à la démission tandis qu’on tente sournoisement de s’emparer de son travail. Alors qu’il s’apprête à faire un carnage, Frank, de manière inopinée, se retrouve doué de pouvoirs presque illimités, ouvrant la porte à des raffinements inédits dans la vengeance…

Disciple conséquent de Lovecraft, Thomas Ligotti, né en 1953, a bien compris que l’horreur contemporaine était économique avant tout. Foin d’abysses gluants quand on a sous la main l’un de ces fleurons du Capitalisme où Cthulhu siège au conseil d’administration et dont le bilan comptable tient lieu de Necronomicon ! Car c’est le même Mal qui régit l’univers, le même « chaos aveugle et turbulent » qui roule « (...) comme un fleuve noir et sans fond », «(…) ténèbres coulant au milieu des ténèbres. » Frank lui-même émarge à cette énergie noire, dindon d’une mauvaise farce d’où l’anéantissement saura seul le tirer en une ultime extase.

Les autres nouvelles du recueil étant à peu près du même acabit, autant dire qu’on rigole peu chez ce Ligotti-là, sinon d’un rire noir à faire tomber les dents. Un rire qui lasse un peu, toutefois, à force de se vouloir dénué d’illusions. Le pessimisme est toujours prompt à s’adjuger la lucidité comme lui revenant de droit, comme s’il fallait voir tout en noir pour y voir clair. L’horreur selon Thomas Ligotti, nyctalope invétéré, relève à l’évidence de ce sous-texte, visant bien moins à vous faire dresser le poil en toute gratuité qu’à vous presser d’abandonner toute espérance. Le désespoir n’étant souvent que l’autre nom de la paresse, on comprend qu’il n’ait pas terminé son boulot.

Yann Fastier