On avait lu Jack London et Jack Black, on connaissait Vagabonds de la vie de Jim Tully et Sociologie du hobo de Nels Anderson.

 

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On croyait tout savoir de ces travailleurs migrants qui, dans la première moitié du XXe siècle, sillonnaient les États-Unis en « brûlant le dur » à bord des trains de marchandise, y faisant souffler un esprit révolutionnaire bien oublié depuis. Restait pourtant Ben Reitman et sa Boxcar Bertha, sœur de la route, dont, en 1972, Martin Scorcese tira un film très infidèle avec Barbara Hershey et David Carradine. Pas question, chez Reitman, d’attaquer les trains façon Bonnie & Clyde : n’ayant nul père à venger, son héroïne n’est ni justicière ni syndicaliste, encore moins truande, bien qu’elle ne méconnaisse pas les bas-fonds. Car la Boxcar Bertha du roman est une exploratrice avant tout, avide d’aventures et d’expériences de toutes sortes, gyrovague accomplie depuis l’enfance, mue par une irrépressible bougeotte qui lui fait traverser tout ce que les USA de l’Entre-deux-guerres auront compté de communautés marginales, radicales ou révolutionnaires : hobos, wobblies, agitateurs libertaires et partisans de l’amour libre, clochards célestes ou pas, pickpockets et fumeurs d’opium. Versatile, elle tâtera tour à tour de la politique, de la prostitution, de la prison, de la médecine, du journalisme et de la statistique avant de s’assagir la trentaine venue pour s’épanouir enfin dans le travail social et la maternité.

Inutile de dire qu’à ce régime, le livre tient moins du roman proprement dit que de la visite guidée : Ben Reitman n’avait rien d’un pro de la plume et ça se sent. Si Boxcar Bertha sonne souvent plus vrai que nature, au point qu’il faille parfois faire un effort pour se souvenir qu’il s’agit d’une fiction, un certain systématisme finit par rendre un rien artificiel ce que les passés composés sans apprêt de l’auteur pouvait faire passer pour une confession authentique.

Il faut dire qu’il connaissait son sujet : « roi des hobos » lui-même, infatigable activiste et, pour finir, médecin des pauvres, spécialiste des maladies vénériennes, Ben Reitman accueillait sans préjugés l’humanité tout entière, avec ses qualités et ses défauts, ses abjections et ses beautés. Ami fidèle et amant volage d’une Emma Goldman d’emblée sous le charme de cette belle bête qu’elle jugeait cependant « un peu limitée », Ben Reiman restera l’auteur de ce seul livre, paru en 1937 aux États-Unis. Il y aura mis, de son propre aveu, beaucoup de lui-même, au point d’avoir « tellement mélangé la fiction et les faits qu’il est difficile de les distinguer maintenant ».

À la suite de Retour à Harlem de Claude McKay et de Revenir à Naples, de Paco Ignacio Taibo II, Nada en donne aujourd’hui une réédition soignée et discrètement illustrée dans une traduction révisée, bien introduite par la préface éclairante de Solomon Boshover.

Yann Fastier